Imaginons ensemble, une pièce sombre, voûtée, sans décoration, où un grand album en forme de missel relié de velours rouge, à ferrures antiques, repose, solitaire, sur un lutrin éclairé par un unique flambeau.

Rêvons ensemble, que ce grand album soit un recueil d’illustrations. Dessins de villes, d’instantanés de vie, où en regard de chaque illustration, écrit de la main des hommes, des récits vrais et moins vrais. Livre précieux, que l’on Feuillette, avec les yeux émerveillés, d’un enfant d’autrefois devant de belles images.

Au hasard, nous tournerons ses pages. Nous arrêtant seulement devant une illustration, selon ses couleurs, nos envies et au gré du vent.

Si le lecteur, bienveillant ( et nous le savons bienveillant), possède une âme quelque peu d’artiste, il comprendra. Des descentes dans le temps à un endroit, puis des remontées dans d’autres parties de ce temps, en passant par des lignes droites, sans oublier les courbes et les doubles boucles de ce même temps - Pour l’espace, pareil - Voilà ce qui attend notre bienveillant lecteur. Lequel, rien ne l’empêche de donner son très estimable avis. Nous le remercions d’avance et lui souhaitons d’agréables voyages.

mardi 29 novembre 2011

L'Alcazar de Tolède assiégé

Tolède

Une histoire dramatique que celle qui va suivre.  Elle se passe en 1936, en Espagne dans la très belle ville historique de Tolède.  Elle ne se termine ni bien ni mal.  Seuls sont vaincus les morts, peu importe leur côté.  Ils ne sont ni bons ni mauvais, ils sont simplement victimes de leur folie.  Quant aux vivants, ils sont en sursis, pour eux la guerre ne fait que commencer…

Depuis le 18 juillet, on se battait dans Tolède.  Dès que la nouvelle de l’insurrection du général Franco y était parvenue, le colonel Moscardo et ses hommes avaient pris les armes contre la république.  Les forces fidèles au gouvernement légal et les milices populaires entendaient bien résister aux militaires rebelles.

Siège de l’école des cadets, d’un accès difficile, d’étroites rues y conduisent, l’Alcazar est une masse qui domine le Tage.  Cette solide construction parut au colonel Moscardo le lieu indiqué pour diriger la lutte et soustraire ses compatriotes à la fureur des « Rouges ».

Construite au XVIe siècle dans la partie la plus haute de la ville, de forme rectangulaire, l’Alcazar était une forteresse que Charles Quint convertit en résidence royale.  En 1810, l’Alcazar fut incendié par les troupes napoléoniennes.  Reconstruit, il fut utilisé comme maison des sœurs de la Charité, puis comme académie militaire.  

Le 22 juillet, devançant ses ennemis, Moscardo s’enferme dans la forteresse.  Il emmène avec lui, soldats mutinés, notables et les familles des gardes civils.  Le temps pressant, il ne peut emmener son épouse, Doña Maria, réfugiée chez un ami, et deux de ses fils, Luis, dix-sept ans et Carmelo, quatorze ans.

A près de soixante ans, le colonel Moscardo garde encore toute sa verdeur.  Militaire dans l’âme, nationaliste et fervent catholique, il n’admet ni défaillance, ni manquement à la discipline.  C’est un dur.

Sa première préoccupation est de mettre en défense l’Alcazar.  Quelques jours plus tôt, par un hasard providentiel, il a reçu l’ordre du gouvernement de réunir et d’expédier à Madrid, toutes les armes, munitions et médicaments en dépôt à Tolède.  Moscardo, s’est bien acquitté de la première partie de la mission, mais au lieu d’envoyer le tout à Madrid, trompant la république, il effectue le transfert vers l’Alcazar.

Il a de cette manière, emmagasiné, un million trois cents mille cartouches, mille deux cents fusils, trente-huit mitrailleuses et un mortier.  Du blé et des conserves fournissent le ravitaillement provisoire.

650 gardes civils, 200 cadets et élèves de l’école de gymnastique, 160 officiers et soldats, 85 phalangistes, 2 médecins et un chirurgien militaire.  600 femmes et enfants, 200 notables, 3 religieuses infirmières et leur mère supérieure, en tout quelque 2000 personnes forment la garnison de la forteresse.

Dans cette citadelle, la place ne manque pas.  L’Alcazar est un véritable dédale de chambres, de salles hautes, de galeries et de souterrains.  Le tout protégé par une  haute muraille épaisse de plus de trois mètres.  Deux cents dix chevaux et trente mulets occupent les écuries.  Leur nombre va considérablement diminuer,  Les animaux serviront de viande aux assiégés.  A la fin du siège, il n’en restera que six.  Faute de sel, on saupoudre les quartiers de viande de salpêtre, gratté sur les murs.  Restées coquettes malgré les événements, les femmes profitent du salpêtre pour se poudrer le visage.

La confiance et la bonne humeur marquent les visages des rebelles.  L’électricité coupée, on s’éclaire de mèches trempées dans la graisse des animaux abattus.

L'ancien Alcazar
                                                        

Seuls contacts vers l’extérieur, une radio branchée sur les stations franquistes de Milan et de Lisbonne et le téléphone que les républicains ont épargné.  Cette ligne sert  de moyen de communication entre les adversaires.

Le 23 juillet, Moscardo tient conseil lorsque le téléphone sonne.  Le républicain, Candido Cabello, chef de la milice appelle :

-       Colonel Moscardo, êtes-vous décidé à abandonner l’Alcazar ?
-       Je suis décidé à y demeurer.
-       Je vous laisse dix minutes pour changer d’avis. Passé ce délai, nous agirons.  Mais auparavant, je cède la place à un quelqu’un d’autre.  Restez à l’écoute.

Dans l’écouteur, une  voix jeune et vibrante, Moscardo reconnaît son fils Luis.

-       Papa, les miliciens m’ont arrêté.  Ils disent qu’il me fusilleront si tu refuses de les écouter.  Je sais d’avance ta réponse, mais je veux l’entendre de toi-même.  Parle, j’obéirai.  Que dois-je faire ?

La main crispée sur le récepteur, d’un ton calme, celui d’un chef, Moscardo lui répond :

-       Recommande ton âme à Dieu et prie-le de te donner le courage nécessaire.  Que ton dernier cri soit : « Vive l’Espagne ! Vive le Christ-Roi ! »
-       Ne crains rien, tu n’auras pas à rougir de moi.  Je t’embrasse bien fort, papa !
-       Je t’embrasse bien fort, mon fils !

Un silence, puis Moscardo poursuit :

-       Candido Cabello, inutile d’attendre les dix minutes.  Vous pouvez raccrocher.

Colonel Moscardo

Un grand signe de croix avant de reposer le combiné et le colonel s’éloigne de l’appareil.  Il revient à sa place, se rassied devant ses officiers et commande :

-       Reprenons, Messieurs !

Le 25 juillet, Luis tombait, pour l’Espagne et le Christ-Roi, sous les balles du peloton d’exécution.   Certains historiens ont mis en doute cette histoire.

Le siège de l’Alcazar de Tolède va, à présent, commencer.

L’artillerie républicaine tire sur l’Alcazar.  Chaque jours, les brèches s’ouvrent de plus en plus largement.  Malgré ses tours démantelées, ses façades criblées de projectiles, l’Alcazar résiste.  Parfois, une brève accalmie.  Le téléphone sonne et toujours l’inutile question et encore le même dialogue stérile entre le général républicain Riquelme et le franquiste Moscardo.

- Colonel, ne m’obligez pas à détruire notre noble Alcazar !
- Général, ne me demandez pas de le déshonorer !
Général Riquelme

Dans le patio central, témoin muet de cette lutte fratricide, la statue de Charles-Quint demeure encore debout.

Le 29 juillet, Radio-Madrid annonce la reddition de l’Alcazar.  Nouvelle aussitôt démentie par les radios franquistes. 

Les bombardements s’intensifient, cinq cents obus par jour tombent sur la forteresse.  Au début, on enterre les victimes dans les terrains de l’esplanade.  Mais lorsque les tirs deviennent plus intenses, plus meurtriers, on doit utiliser les anciennes cabines de bains du sous-sol.  On y mure le mort debout, appuyé contre la paroi intérieure.  Sans prêtre, les assiégés se réunissent dans la chapelle pour prier et invoquer la Vierge.  Ces prières se terminent toujours par : «  Si je meurs, je meurs, mais ce que je crois ne meurt pas ! ».

                                                  

Durant ces terribles mois d’août et de septembre, les actes de courage se multiplient des deux côtés. 

                                                       

Pour les républicains, les nouvelles du front deviennent alarmantes.  Dans tout le pays, les armées franquistes avancent.  La résistance de l’Alcazar incite le général Franco à reporter son offensive contre Madrid.  Ses troupes doivent prioritairement délivrer les assiégés, devenus des symboles.  Cette décision sauve Madrid mais va prolonger la guerre et ses victimes.

Déjà, des avions larguent du ravitaillement et des proclamations sur l’Alcazar.

« Vainqueurs sur tous les fronts, nous volons à la victoire ;  Tenez à tout prix ;  Vive l’Espagne ! – Général Franco ».

Devant la situation, les républicains essaient d’obtenir, sinon la reddition complète de l’Alcazar, du moins une évacuation partielle.  Le 9 septembre, ils proposent à Moscardo de recevoir un parlementaire.  Ils ont choisi Rojo, un de leurs officiers, ancien adjudant de Moscardo à l’école de gymnastique.

Le 10 septembre, Rojo se présente à l’entrée de l’esplanade.  Un phalangiste lui bande les yeux et le conduit à Moscardo.  Là, le bandeau ôté, il s’assied et la conversation commence.  Dramatique rencontre de deux hommes braves, jadis amis que les divisions de l’Espagne ont séparé.  Il reste, malgré tout, chez les deux officiers, une estime réciproque.  

Général Rojo

Comme d’habitude, Moscardo se montre irréductible. – l’Alcazar ne se rendra jamais - est sa réponse.
Cependant il demande une seule chose à son ancien ami : un prêtre.

Les républicains lui envoient donc un prêtre.  Le vénérable Don Enrique Vasquez Camarasa, chanoine à la cathédrale de Madrid se présente le lendemain à l’Alcazar.

En civil, une valise, contenant les objets du culte, dans une main et dans l’autre un grand crucifix, il pénètre dans la forteresse.  Moscardo s’incline respectueusement à son approche.  Don Enrique ne peut rester que trois heures.  Sans perdre de temps, la messe commence.  Le délai trop court ne permet pas au prêtre d’entendre chaque fidèle en confession.  Le sacrement sera général et collectif.  Avant de partir, Don Enrique se rend auprès des blessés et bénit les terribles portes murées des cabines de bains.

A la porte de la forteresse, Don Enrique renouvelle les propositions de Rojo.  Moscardo lui répond : « Mon père, je commande ici mes soldats, non des femmes et des mères.  C’est donc à elles seules qu’appartient la décision.  Interrogez-les. »

Après s’être adressé aux femmes qui l’ont accompagné, le prêtre entend cette réponse : « Nous n’abandonnerons jamais nos maris.  Nous garderons nos enfants près de leurs pères.  S’il le faut, nous lutterons et mourront avec eux.  Nous n’abandonnerons l’Alcazar qu’après la victoire ! »

Les jours suivants sont des journées d’espoirs et d’angoisses pour les assiégés.  Les troupes franquistes s’approchent de Tolède.  La délivrance ne peut tarder.

Mais le 16 septembre, les rebelles enfermés dans l’Alcazar, entendent un grondement sous leurs pieds. Bruits sourds de perforatrices creusant le sol.  Des pionniers venus des Asturies, préparent une mine pour faire sauter la citadelle.

Pendant quarante-huit heures, les assiégés entendent l’angoissant écho.  A tout moment, l’explosion peut avoir lieu.  La peur marque les visages.  Le 18, à 7 heures du matin, c’est l’explosion tant redoutée.  Une détonation formidable secoue l’édifice entier.  Dans un immense nuage de poussière, la grande tour sud-ouest s’écroule.  La dynamite des Asturiens a encore pulvérisé la façade ouest et anéanti ses dépendances.  Par chance, Il n’y a que très peu de perte chez les nationalistes.  Au même moment les républicains attaquent.  Dans l’Alcazar devenu cimetière, de toutes les issues, de tous les éboulis de pierres, de ferraille, les défenseurs ouvrent le feu sur les assaillants - Brève et terrible lutte - devant l’intensité de la résistance, les républicains ne peuvent plus avancer.  Ils doivent reculer.  L’ultime assaut se solde sur un échec.

L'Alcazar après l'explosion
                                                             
A présent, Tolède se trouve sous le feu de l’armée franquiste.  Sans renfort, pour éviter l’encerclement, les républicains évacuent la ville pour assurer, plus au nord la défense de Madrid.

Place Zocodover de nos jours

Le 26 septembre, règne un silence étrange autour de l’Alcazar.  Le lendemain, vers 7 heures du soir, des silhouettes apparaissent sur la place du Zocodover, ce sont les premiers éclaireurs de la colonne franquiste Yagüe.

Le siège de l’Alcazar se termine.

Le lendemain, sur l’esplanade, les combattants de l’Alcazar saluent le général Varela venu les secourir.  Le général Franco viendra à son tour exprimer aux défenseurs la reconnaissance de l’Espagne.  Plus tard, Moscardo fera visiter les lieux au reichführer SS Heinrich Himmler.  En 1948, Franco fera Moscardo, Comte de l’Alcazar.




Franco dans les ruines de l'Alcazar



Himmler visitant les ruines de l'Alcazar
                                                   
Le siège dura 68 jours.  Il eut en tout : 82 morts, 430 blessés,  2 morts naturelles, 3 suicides, quelques disparitions et deux naissances.

La bataille de l’Alcazar ne fut qu’un des nombreux épisodes de la guerre civile espagnole, mais elle a marqué la mémoire des hommes.   Moscardo est décédé en 1956, son corps repose dans la forteresse reconstruite.

De nos jours, l’Alcazar de Tolède accueille la bibliothèque de Castille et le musée de l’armée espagnole.    


Le nouvel Alcazar

mercredi 16 novembre 2011

Le cadeau espagnol

Prinsenhofplein

A Gand, sur la Prinsenhofplein, s’élève dans toute sa gloire, la statue de Charles-Quint.  Pourtant, les Gantois n’ont pas beaucoup d’enthousiasme pour ce personnage.  Mais, comme ce sont des gens bien élevés, ils ont érigé une statue au grand empereur.  Il faut pourtant avoir l’honnêteté de reconnaître  qu’ils ne sont pas à l’origine de cette initiative.  La belle statue est un cadeau de la ville espagnole de Tolède à la cité qui vit naître le grand homme.

Jadis, sur cette place, s’élevait une résidence princière (Prinsenhof).  Dans ce palais, le 24 février 1500, il eut une fête.  Au milieu de la nuit, Jeanne de Castille, enceinte, pressée par une envie soudaine, se rendit aux toilettes.  Ainsi naquit le grand Charles-Quint.




Prinsenhof



 
Il fut très fier de sa ville natale.  Personne n’a oublié sa  phrase célèbre  :
« Je mettrais Paris dans mon Gand ».

Charles-Quint peut bien dire qu’il est né sous une bonne étoile.  Seulement celle-ci avait oublié de lui donner la beauté.  On ne peut pas tout avoir.  Il faut l’avouer, Charles n’était pas beau.

Du côté des Habsbourg, il n’avait pas simplement hérité des clés du trône de l’empire mais avait aussi les traits de son grand-père Maximilien.  La plupart des portraits connus de Charles ont été retouchés.  Ce genre de peintures ne reflètent que rarement la vérité. 


Maximilien
Charles-Quint

En réalité, l’empereur était de taille très moyenne.  Il possédait un nez aquilin un peu de travers et un menton viril.  Ce menton était, hélas, assez proéminent et pas vraiment à niveau. Ce qui l’empêchait de joindre les dents.  De ce fait, sa bouche restait constamment entrouverte.  La barbe qu’il portait, dissimulait un peu cette imperfection physique.
Sa dentition était largement ruinée.  Les dents fort peu nombreuses étaient cariées.  Son haleine n’était pas spécialement parfumée d’essence de rose.  L’odeur qu’elle exhalait, il la combattait en mangeant du sucre.  Ce qui, on s’en doute, ne devait pas faire vraiment  plaisir à ses dents. 


Malgré cela, il devait être une force de la nature, pensez-vous ?  Il faut décevoir le lecteur.  Il n’avait pas une bonne santé.  Avant son mariage, il fut épileptique.  A partir de trente ans, il fut victime de nombreuses attaques de goutte.  Il était régulièrement dépressif.  Il devint diabétique et  fut finalement, à 58 ans, vaincu par la malaria.

Alors, il fut peut-être un grand penseur, me direz-vous ?  La réponse est une nouvelle fois : non. Les livres ne l’intéressaient pas.   Et malgré certaines citations, il ne possédait aucuns dons pour les langues.  Il parlait français, un tout petit peu de flamand, un peu de latin et pour faire illusion, quelques bribes d’autres langues.    Mais tout cela ne le gênait pas.  Ce n’était que de la bagatelle pour lui.

Par contre, il possédait une incroyable volonté et savait pertinemment bien que le pouvoir était à lui et à lui seul.  Ses victoires sur les champs de bataille, lui offraient l’honneur et la renommée.  A cette époque, ces deux qualités, faisaient d’un prince, un important seigneur.  Ajoutons encore que Charles était un grand travailleur et un très fervent catholique. 

S’il avait un bon ou un mauvais caractère ?  C’est à voir.  Il existe de nombreux récits relatant ses escapades parmi le bon peuple. Ces histoires populaires décrivent sa sagesse et son grand cœur.

Mais aux yeux des Gantois, il en va tout autrement. Si le lecteur lit cette histoire, oserait-il encore penser que Charles-Quint avait du coeur ?

Les Gantois sont encore de nos jours appelés : Stroppendragers (porteurs de cravates) ou parfois « petites cravates ».  Cette appellation conduit, naturellement, au bon Charles.

L’empereur Charles-Quint et les Gantois, c’est une histoire vieille de plus de 470 ans qui n’est pas tout à fait terminée.

L’empereur avait fait de sa tante Marguerite d’Autriche ( on est très famille chez les Habsbourg) régente des Pays-Bas.  Lorsqu’en 1539, pour financer une nouvelle guerre, Charles eut besoin d’argent, il s’adressa aux Gantois.  Ceux-ci refusèrent de payer cet impôt supplémentaire.  Leur prétexte n’étant pas valable aux yeux de l’empereur, il vint en personne punir les récalcitrants.  Le moins que l’on puisse dire c’est que tendre, il ne l’a pas été.  D’abord, il fit démolir le vénérable monastère Saint-Bavon qu’il remplaça par une méchante forteresse espagnole.  Ensuite, il limogea tout le conseil de la ville et se réserva la nomination des nouveaux échevins.  Puis, les métiers perdirent tous leurs droits.  Il fit arrêter la construction du nouvel hôtel de ville.  Gand dut payer en plus de l’impôt de guerre, une très forte amende.  Mais ce ne fut pas tout, outre les nombreuses arrestations et exécutions, les habitants durent, en chemise de nuit, pieds nus, une corde autour du cou, défiler en procession dans toute la ville.  Les « cravatés » partirent de la Sint-Baafsplein pour se rendre à la Prinsenhofplein (là où se trouve la statue) demander le pardon de Charles. 


                                                                          

De nos jours, les Gantois se souviennent encore de cette humiliation.

Chaque année, pendant les fêtes de la cité, la guilde des «cravatés » organise un cortège « stropkesstoet ».  Dans la dignité, comme leurs ancêtres, ils traversent la ville en chemise de nuit, pieds nus, une corde autour du cou.
 







mardi 8 novembre 2011

Et si l'on racontait Bruges?

Bruges


Le pays flamand peut s’enorgueillir de tant de jolies villes.  Situées  pas très loin de la France, elles offrent aux amateurs sensibles des bouquets de senteurs et des tableaux hauts en couleurs. Chacune d’entre-elles est riche en beautés et en histoires de toutes sortes. Souvent leur histoire se confond avec celle de la France.  Les Français n’y seront pas trop dépaysés.  Ils reconnaîtront bien des visages familiers.  Philippe le Bel, les ducs de Bourgogne, Louis XI, Louis XIV, Chateaubriand, Victor Hugo, et combien d’autres encore y ont laissé la trace de leur pas, de leur geste et de leur parole.  Il suffit de les évoquer pour les faire revenir. 

Allons à leur rencontre et commençons par Bruges.

Bruges
Pas très loin des côtes, au milieu des marais et des bois de Flandre, autour d’un pont de bois jeté sur une rivière autrefois navigable, la Reye, un village sans nom s’éleva un jour. Le pont (brug) lui donna son nom.  Bruges était née.

Au Ve siècle, les Huns envahirent la région.  Bruges semble avoir été épargnée.  De vieilles annales racontent comment la cité flamande accueillit les réfugiés fuyants devant le redoutable Attila.  Il existe nombre de traditions locales racontant le passage des Huns.  Une de ces traditions dit qu’ils dressèrent leur camp sur une immense lande à l’ouest de la ville.  Le lieu aurait conservé le nom d’Attila (Tilleghem).  Là, s’éleva par la suite un  château.

Attila
Saint-Amand s’arrêta à Bruges.  Saint-Eloi  y construisit une chapelle. Et Saint Boniface les suivit.

C’est Baudouin Ier, dit bras-de-fer, qui introduit Bruges dans la grande histoire.  Pour tenir à distance les turbulents Vikings, au IXe siècle, il fait construire une forteresse.  Grâce à cette construction, la ville devient, pour quelques siècles, la résidence des comtes de Flandre.

Proche de la mer du Nord, Bruges se lance tout entière, dès le 10e siècle, dans le commerce maritime.  Des comptoirs commerciaux s’établissent au nord et au sud de la forteresse.  Pour la première fois, en 960, les marchands organisent une foire annuelle.  Désormais, rien ne semble plus devoir entraver le développement et la prospérité de la cité.  Avec la conquête de l’Angleterre par les Normands, ses relations avec ce pays se multiplient.  Mathilde, l’épouse de Guillaume le conquérant, nouveau roi d’Angleterre, est la fille du comte de Flandre, cela aide dans les affaires.  Prospérant, les marchands de Bruges forment une hanse à Londres.  Société commerciale à laquelle plus tard seize autres villes s’associent, les Brugeois restant majoritaires dans l’affaire. 

Les années passent et le trafic commercial se fait de plus en plus dense.  Grâce à son essor, en 1127, Bruges possède maintenant, une charte, un tribunal, des échevins et des remparts.  Signe de puissance, la ville continue à s’étendre, en 1300, on agrandit les remparts. 

Le monde se presse là où l’économie et l’industrie prospèrent et Bruges compte bientôt près de 40.000 habitants.  A cette époque, elle devient l’une des villes les plus peuplées et les plus riches d’Europe.  Le pouvoir, cependant appartient aux marchands.  Ceux-ci se regroupent en associations et occupent héréditairement les fonctions d’échevins et de magistrats.  De l’autre côté de cette barrière sociale se retrouvent les artisans.  Ils sont pauvres mais peuvent compter sur l’appui du comte.  Appui cependant pas assez efficace, le comte est absorbé la plupart du temps par des conflits avec la France.  La cité flamande se divisent rapidement en deux camps.  Deux groupes sociaux vont se faire face : d’un côté les patriciens brugeois protégés par le roi de France et de l’autre, le peuple que le comte flamand regroupe sous sa bannière. 
Vers la fin du XIIIe siècle, un conflit entre le comte de Flandre Guy de Dampierre et les bourgeois de Bruges, va conduire à la guerre.  Contre le comte, les bourgeois demandent l’appui du roi de France.  Par réaction, le peuple soutient le comte.  L’alliance de Guy de Dampierre avec le roi d’Angleterre, sert de prétexte à Philippe le Bel, roi de France d’intervenir militairement en Flandre.  Il envahit le pays.  Ses troupes battent celles de Guy de Dampierre.  L’ancien compagnon de Saint-Louis est fait prisonnier.  Dès lors, l’armée de Philippe occupe la Flandre.
Victorieux, le roi de France visite ses conquêtes en 1301.  A Bruges, son épouse, Jeanne de Navarre, apercevant le luxe des vêtements portés par les habitantes de l’endroit, ne peut s’empêcher de dire, cette phrase restée célèbre : « Je me croyais seule reine ici, mais j’en vois mille autres autour de moi. »
Guy de Dampierre
L’attitude hautaine et les exactions des conquérants agacent rapidement les Flamands.  Philippe le Bel est à peine parti depuis un mois que des émeutes éclatent à Bruges.  Jacques de Châtillon, gouverneur de la Flandre, se présente devant la cité rebelle avec cinq cents lances.  Devant son nez, les portes de la cité se ferment.  Profitant de l’occasion, certains envoient dans un monde que l’on prétend meilleur, quelques bourgeois partisans des Français.  Pour les punir, Châtillon fait raser les remparts et commence la construction d’une nouvelle forteresse.  Voulant réprimer les mécontents, il a réuni dans la ville des troupes nombreuses.  A ce moment, les voix enflammées de Pieter De Coninck, doyen des tisserands, et de Jan Breydel, doyen des bouchers, se font entendre.  Le 18 mai 1302, à leur appel, le peuple se soulève.  Alors commence le massacre de la garnison royale et de ses alliés.  On appelle ce carnage, les mâtines brugeoises.  Furieux de la tournure des événements à Bruges, Philippe veut venger  l’affront.  Il envoie une nouvelle fois son armée en Flandre.  Le choc a lieu près de la ville de Courtrai.  Ce jour-là, la « piétaille » flamande écrase la chevalerie française.  Les nombreux éperons ramassés sur le champs de bataille donnèrent un nom à cette victoire : la bataille des éperons d’or (11 juillet 1302).
Grâce à la défaite de l’armée de Philippe le Bel, l’oligarchie des marchands prend définitivement fin à Bruges.  Les guildes et les artisans ont enfin leur mot à dire dans la gestion de la cité.

Philippe le Bel

Le 14e siècle est un âge d’or pour Bruges.

La ville devient le centre du commerce international.  Dix-sept pays y sont représentés.  Vingt ambassadeurs y résident.  La puissante ligue hanséatique y a installé l’un de ses quatre principaux comptoirs.  La ville sert d’entrepôt aux négociants Anglais et Danois.  D’autres négociants y amènent par terre et par eau du sud de la France et de l’Espagne leurs marchandises.  Venise et les Lombards lui envoient les produits des Indes et de l’Italie, et achètent ceux de l’Allemagne et de la mer Baltique.  On décharge dans son port en même temps les galéasses vénitiennes, génoises et celles de Constantinople.  Les magasins explosent sous le poids des laines anglaises, des toiles flamandes et des soieries de Persanes. 

La ville est riche, très riche.  En 1396, un marchand  se rend caution de l’énorme rançon de Jean sans Peur.  Le duc de Bourgogne a été capturé par les Turcs à la désastreuse bataille de Nicopolis.  La somme garantie s’élève à 200.000 ducats. 


Philippe le Bon
Le 15e siècle, est, toutefois, celui de sa plus grande prospérité, économique, politique et artistique. Entrée dans l’héritage bourguignon, Bruges vit ses plus brillantes heures.  Les ducs de Bourgogne transforment la cité en un brillant jardin de plaisance.  Ils tiennent dans la cité marchande, une cour magnifique.  L’endroit devient le rendez-vous de tous les grands seigneurs de l’époque.  Nous dirions aujourd’hui que Bruges est l’endroit où il faut être vu, le rendez-vous de la « Jet-Set » du monde entier.

Les fêtes données par les ducs, éclipsent en magnificence tout ce qu’on avait vu jusqu’alors.  Les plus extraordinaires sont celles données en 1429, pour le mariage de Philippe le Bon avec Isabelle de Portugal, pour l’institution de l’ordre célèbre de la Toison d’or, et en 1468, à l’occasion des noces de Charles le téméraire et de Marguerite d’York.

C’est à ce moment que, grâce aux peintres Jean et Hubert van Eyck, Bruges devient le berceau de la célèbre école flamande.  L’architecture, la musique et la littérature livrent aussi des chefs-d’œuvre d’une qualité jusqu’alors inégalée. 


Ecole flamande
Cependant, la chute ne se fait pas attendre.  Le luxe ruineux, les guerres continuelles, l’effondrement de la Bourgogne, les révoltes et l’ensablement du Zwin, ce bras de mer qui servait d’artère vitale à la ville, ont bientôt raison de la belle cité.  Sa décadence commence.  Une grande partie des marchands étrangers émigrent pour se fixer à Anvers, nouvelle capitale économique.  Défection qui porte un coup mortel à la cité.  C’est le moment où va éclater la longue et fatale guerre des Pays-Bas, d’abord contre l’Espagne et ensuite contre la Hollande.  Cette effroyable lutte ruine, pour des siècles, le pays tout entier.  Malgré cela, la ville connaît encore quelques belles heures, vivant sur sa célébrité et ses richesses passées, mais son époque de gloire est terminée.  En 1604, le Zwin est complètement fermé à la navigation commerciale.

Georges Rodenbach
Depuis, la vieille cité de Flandre, ne fit plus que languir et décliner.  Bruges s’endormit tout doucement et sombra peu à peu dans l’oubli.  En 1892, l’écrivain Georges Rodenbach réveilla cette noble dame. Il attira l’attention du monde sur elle en publiant son roman “Bruges la morte”.  Tirée de sommeil, la cité connut alors une nouvelle vocation.


Aujourd’hui, riche de son ancienne grandeur et de son opulence d’autrefois, Bruges est devenue l’une des villes les plus visitées au monde.  La largeur de ses rues, la décoration de ses édifices, son histoire attestent encore le souvenir du temps où elle était reine. Emerveillé par le décor, un citoyen américain, qui visitait le lieu, demanda un jour, quelle était l’heure et les jours de fermeture de la ville.  La méprise de ce brave homme était tout à fait excusable.  Car, entre le château de la Belle au bois dormant et Bruges, il n’y a que la distance d’un rêve. 




Bruges, un rêve