Imaginons ensemble, une pièce sombre, voûtée, sans décoration, où un grand album en forme de missel relié de velours rouge, à ferrures antiques, repose, solitaire, sur un lutrin éclairé par un unique flambeau.

Rêvons ensemble, que ce grand album soit un recueil d’illustrations. Dessins de villes, d’instantanés de vie, où en regard de chaque illustration, écrit de la main des hommes, des récits vrais et moins vrais. Livre précieux, que l’on Feuillette, avec les yeux émerveillés, d’un enfant d’autrefois devant de belles images.

Au hasard, nous tournerons ses pages. Nous arrêtant seulement devant une illustration, selon ses couleurs, nos envies et au gré du vent.

Si le lecteur, bienveillant ( et nous le savons bienveillant), possède une âme quelque peu d’artiste, il comprendra. Des descentes dans le temps à un endroit, puis des remontées dans d’autres parties de ce temps, en passant par des lignes droites, sans oublier les courbes et les doubles boucles de ce même temps - Pour l’espace, pareil - Voilà ce qui attend notre bienveillant lecteur. Lequel, rien ne l’empêche de donner son très estimable avis. Nous le remercions d’avance et lui souhaitons d’agréables voyages.

lundi 16 janvier 2012

Molière à Rouen

Molière

Autrefois, capitale de la Normandie, traversée par la Seine, Rouen, le Rothomagus des anciens, passa, avec Rollon sous la domination des Normands.  Lorsque Guillaume le Conquérant réunit Rouen et la Normandie à la couronne d’Angleterre, les rois anglais devinrent vassaux du roi de France.  A la fin de la guerre de cent ans, Charles VII rattacha définitivement cette province à la France.  Un nom et un souvenir s’associent tragiquement à cette ville : Jeanne d’Arc et son martyre.  Mais d’autres souvenirs sont moins terribles que celui-là.  Deux siècles après la mort de l’héroïne, les deux Corneille, Pierre et Thomas y vivaient et le grand Molière y passa plusieurs mois avant son retour définitif à Paris.  Le séjour à Rouen du génie de la comédie est un épisode peu connu de sa vie.  Nous allons essayer quelque peu de soulever le rideau sur ce séjour. 

En l’an 1646, Molière avait décidé de quitter Paris.  Cela faisait deux années que lui et sa troupe de l’Illustre–Théâtre parcouraient sans grand succès les différents quartiers de Paris.  Ce succès, peut-être, les attendait-il en province ?  Cela dura douze ans.  Douze années de pérégrinations. 
Vers le 1er avril 1658, alors que la troupe tenait ses quartiers à Grenoble, elle se mit subitement en route pour Rouen. 

Les amis de Molière lui avaient conseillé, non pas de revenir à Paris, mais de s’en rapprocher.  De s’installer dans une ville voisine pour s’y faire une réputation.  Son mérite lui avait acquis plusieurs personnes des plus considérables.  Celles-ci s’intéressaient beaucoup à son talent.  Elles lui avaient promis de l’introduire à la cour.  Rouen, par sa proximité avec Paris, remplissait parfaitement ce rôle.  Par ailleurs, Thomas Corneille écrivait de Rouen, que la directrice officielle de la troupe, Madeleine Béjart, désirait jouer à Paris. Tout était clair, le retour et la gloire à Paris était la but secret du séjour de la troupe de l’Illustre-Théâtre à Rouen. 

Le gros de la compagnie arriva dans la ville vers les fêtes de Pâques.  A cette époque, l’année théâtrale commençait à  partir de ces fêtes.  Après les austérités d’un carême scrupuleusement observé, venaient les plaisirs et les divertissements.
Madeleine Béjart

La troupe se faisait remarquer par la beauté de ses actrices.  Elle comptait dans ses rangs Madame Anne Duparc, « on la trouvait très jolie et très gracieuse ; elle tournait toutes les têtes. ». Pierre Corneille en était amoureux.  Il y avait aussi Catherine Leclerc qui « était très jolie, grande, bien faite, et conserva longtemps un air de jeunesse. ».  Toutes les deux suivirent à Rouen la troupe de Molière.  Mademoiselle Marotte Beaupré se faisait aussi remarquer par sa beauté, mais moins que les deux autres.  Madeleine Béjart, Anne Duparc et Catherine Leclerc, formaient ces trois grandes comédiennes, si difficiles à contenter pour la distribution des rôles  qu’elles donnaient des gros soucis à Molière qui n’en avait pas assez.

Il y avait alors, à Rouen, deux Jeux-de-Paume, grands et vastes, où se donnaient les représentations théâtrales.  L’un s’appelait les Deux-Maures et l’autre les Braques.
Cette année-là, tous deux furent occupés.  En même temps que Molière, il se trouvait à Rouen une autre troupe, celle de Philibert Gassaud, sieur Du Croisy, gentilhomme de la Beauce.  Comme les succès de Molière lui enlevait son public, ce directeur, délaissé des Rouennais, pria Molière de se charger de sa troupe.  Homme de bien, Molière accepta, bien qu’il eût un personnel suffisant et la faveur du public.  L’année suivante, Du Croisy entra lui-même dans la troupe de Molière, s’y sentant bien, il ne la quitta plus.
Par suite de cette réunion imprévue, la troupe de Molière se trouva fort nombreuse.  Elle ne comptait pas moins de quarante comédiens et comédiennes.  

La supériorité incontestable de la troupe de Molière sur toutes les troupes rivales tenait par la qualité des pièces qu’elle donnait.
Les autres compagnies avaient des acteurs et des actrices aussi brillants que ceux de la compagnie de Molière.  Ces compagnies puisaient dans le répertoire des pièces imprimées.  L’habitude du temps laissait ces publications à la libre disposition de tous les comédiens.  Les droits d’auteurs restaient encore à inventer. 
Mais Molière, écrivait ses propres pièces que seuls ses comédiens jouaient. Astucieux, il ne livrait pas à l’impression ses textes.  Il assurait ainsi le succès de ses représentations et surtout de ses recettes.

En province, ses pièces étaient encore à l’état de farce, de canevas informes.  Sur la scène, ses comédiens improvisaient souvent.  Plus tard, Molière travailla ses textes avec plus de soin.  Il transforma ses farces en de bonnes comédies dont il changea aussi le titre.
 
Non seulement, à Rouen, il montait des comédies, mais il donna encore des tragédies.  Pierre Corneille, dans une lettre, écrivit que Molière fit jouer Amalasonde , une tragédie médiocre de Quinault.  Il semble encore qu’il joua des tragédies de Corneille, du moins celles qui étaient imprimées.  Toutefois, le nombre dut en être fort restreint, car les comédiens de Molière excellents dans la comédie, n’avaient que peu de succès dans le genre tragique.  A Lyon, pendant ses voyages en province, Molière avait déjà représenté Andromède œuvre de Corneille.

Durant son séjour à Rouen, Molière donna deux représentations au bénéfice des malheureux de l’hôtel-Dieu de la ville.  Mais là, rendons à César ce qui lui appartient, par décision des autorités, les compagnies théâtrales se trouvaient dans l’obligation, de donner un certain nombre de représentations au profit des pauvres.  Cette obligation provoquait parfois des conflits entre les comédiens et la ville.

De Rouen, Molière se rendit maintes fois à Paris, pour y servir les intérêts de sa troupe.  Il finit par atteindre son but.  Après quelques discrets voyages dans la capitale,  Monsieur, frère du roi, lui accorda sa protection.  Monsieur, le présenta au roi et à la reine-mère.

De retour, Molière annonça à ses comédiens, une grande nouvelle. Ils allaient jouer devant le roi.  Cette annonce fut accueillie avec joie.  Elle mettait fin à leurs pérégrinations.  Le but était atteint, le séjour à Rouen avait porté ses fruits.
 
Le 24 octobre 1658, la troupe commença à paraître devant leurs majestés et de toute la cour. Le roi avait fait dresser un théâtre dans la salle des gardes du vieux Louvres (aujourd’hui la salle des Caryatides).

Pierre Corneille

De son séjour à Rouen, il résulta des rapports  d’amitié et d’intimité entre Corneille et Molière.  Dans sa lutte contre Racine, son jeune rival, le vieux poète trouva un appui sincère auprès de Molière.  On joua sur la scène de « l’ex-Illustre-Théâtre » les pièces de l’auteur du Cid et de Cinna que les autres troupes ne pouvaient ou ne voulaient plus jouer.

Rouen fut la dernière étape d’une vie de souffrance, de privations et de courses errantes, qui avait duré douze années.  Molière avait alors trente-six ans.




lundi 9 janvier 2012

Mycènes

acropole de Mycènes

Dans le Péloponèse, au fond de la plaine de l’Argolide, sur une colline, se dresse encore les ruines de l’acropole de Mycènes.
Une ville et une place forte, protégées par des montagnes qui dominent toute la région.  Autrefois, Mycènes surveillait toutes les routes terrestres et maritimes conduisant vers le Moyen-Orient.  De l’Egypte jusqu’à la Grèce du sud-est, ses nombreux navires contrôlaient le commerce.
Cet emplacement bien choisi fit la richesse de la cité pendant plus de quatre siècles.

La tradition raconte que Percée, fils de Zeus et de Danaé, fonda la cité.  Les Cyclopes en auraient bâti les murs. Après la mort de Persée, ses descendants continuèrent à régner sur Mycènes.  L’un d’eux, Eurysthée, imposa à Hercules, les célèbres douze travaux.  Le fils d’Hercules tua Eurysthée.  Après la mort de ce roi, son beau-frère, Atrée s’empara du pouvoir.

Lorsque  les Athéniens virent pour la première fois les tragédies d’Eschyle sur la mort d’Agamemnon, fils d’Atrée.  Ils savaient que sa famille était maudite.  Non seulement, Atrée et son frère Thyeste étaient maudits par leur père Pélops pour avoir tué leur demi-frère Chrysippe, mais encore, entre eux, ils se livraient à une lutte sanglante et féroce pour ne pas dire barbare.

Mycènes

 
Bien que  les trois fils de Thyeste eussent trouvé protection dans un sanctuaire de Zeus, Atrée ne s’inquiéta pas.  Il les assassina.  Après ces meurtres, Atrée, sans aucune gêne, invita le père de ses malheureuses victimes à un banquet.  A la fin du repas, Atrée fit apporter sur la table, devant son frère, un grand fait-tout.  Souriant, il souleva le couvercle de la marmite.  Une monstruosité apparut devant les yeux horrifiés de Thyeste. Une vraie vision de cauchemar, d’enfer, le père découvrit les mains et les pieds de ses fils nagent dans une sauce brune.  Alors, terrible, la vérité lui apparut brutale, il avait mangé sa propre chair. Thyeste en était épouvanté.  Devant l’atrocité du crime, le soleil même arrêta, dit-on, sa course.  Atrée jouissait du spectacle.  La rage au cœur et une folie meurtrière dans la tête, l’unique fils restant de Thyeste, Egiste, sortit son épée et massacra le monstre.

Atrée mort, Agamemnon lui succéda sur le trône de Mycènes. Il épousa Clytemnestre, fille de Léda et du roi de Sparte Tyndarus.  Son frère Ménélas, roi de Sparte, avait épousé Hélène, sœur de Clytemnestre.  Hélène était le fruit des amours de Zeus, transformé en cygne, et de Léda.  Hélène s’était enfuie avec Pâris, fils du roi de Troie, Priam.  En colère et malheureux, Ménélas demanda l’aide de son frère Agamemnon pour reprendre son épouse, réfugiée à Troie avec son amant.

De son palais de Mycènes, Agamemnon, « roi des hommes », appela les Grecs à venger l’injure faite à son frère.  Il fut élu général en chef de cette expédition, connue sous le nom de la guerre de Troie, qui allait durer dix années.

Les Grecs s’étaient réunis à Aulis.  Des vents contraires les empêchaient de quitter le port.  Artémise, déesse de la chasse, en était la cause.  Pour pouvoir partir, Agamemnon comprit qu’il devait faire un grand sacrifice aux dieux.  Il dut sacrifier l’aînée et la plus belle de ses filles, Iphigénie.  Seulement, Clytemnestre n’aurait jamais accepté cette horrible immolation. Pour tromper sa vigilance de mère, qui faisait bonne garde, le rusé Ulysse, trouva une solution.  Pour amener Iphigénie à Aulis, il prit le prétexte de la marier au plus grand héros grec du temps, Achille.  Complice ou innocent, Achille promit lui-même de protéger Iphigénie. Avec cette ruse, Ulysse l’attira loin de la protection de sa mère.  Elle fut, selon Eschyle et Sophocle, sacrifiée, et selon Euripide, sauvée par Artémise.  Quoiqu’il en soit, Clytemnestre ne pardonna pas à Agamemnon ce crime.  Elle jura de venger sa fille.

Pendant les dix années d’absence d’Agamemnon, son cousin Egiste, fils de Thyeste et l’assassin d’Atrée, devint l’amant de Clytemnestre. 

escalier conduisant au palais

 
Lorsque Agamemnon rentra, en héros, chargé de nombreux butins pris aux Troyens, Clytemnestre semblait avoir oublié le terrible sacrifice et sa vengeance.  Elle le reçut avec tous les honneurs.  Elle déploya le tapis rouge.  Agamemnon fut soulagé par cet accueil si chaleureux.  En montant l’escalier qui conduisait au palais, il n’écouta pas les paroles de Cassandre.  La fille de Priam, sœur de Pâris, faisait partie de son butin de guerre. 
D’Apollon, Cassandre avait reçu le don de voyance.  Mais maudites, ses prophéties ne devaient jamais être écoutées.  Elle avait prédit la guerre, le funeste cheval de bois, mais personne ne l’entendit.  Troie fut livrée au pillage, à la fureur et aux incendies.  Cassandre, fille de roi, fut violée sur l’autel d’Athéna.  La déesse vengea l’affront.  De nombreux Grecs ne revirent jamais leurs foyers.  

ruines du palais d'Agamemnon

 
Cassandre lui annonçait sa mort prochaine. Comme les autres, Agamemnon n’écouta pas l’avertissement.  Pour fêter son retour et son triomphe, Clytemnestre  organisa un grand banquet.  Mais avant de commencer les festivités, elle lui prépara un bain.  Allongé dans l’eau parfumée et tiède, les yeux fermés, heureux, Agamemnon sentit tout à coup, comme un voile jeté sur lui.  Il ouvrit les yeux, un filet le recouvrait et l’empêchait de sortir du bain.  Il ne pouvait plus bouger.  Pris comme un poisson dans son eau.  Il se débattait, voulut crier, appeler à l’aide, mais les mots restèrent dans sa bouche.  D’un coup sec et puissant, la hache de Clytemnestre lui coupa la tête.  

Plus tard Oreste, le fils d’Agamemnon vengea son père.  Il tua sa mère et son complice Egiste. 

Une famille maudite que l’on vous disait.

Clytemnestre