Imaginons ensemble, une pièce sombre, voûtée, sans décoration, où un grand album en forme de missel relié de velours rouge, à ferrures antiques, repose, solitaire, sur un lutrin éclairé par un unique flambeau.

Rêvons ensemble, que ce grand album soit un recueil d’illustrations. Dessins de villes, d’instantanés de vie, où en regard de chaque illustration, écrit de la main des hommes, des récits vrais et moins vrais. Livre précieux, que l’on Feuillette, avec les yeux émerveillés, d’un enfant d’autrefois devant de belles images.

Au hasard, nous tournerons ses pages. Nous arrêtant seulement devant une illustration, selon ses couleurs, nos envies et au gré du vent.

Si le lecteur, bienveillant ( et nous le savons bienveillant), possède une âme quelque peu d’artiste, il comprendra. Des descentes dans le temps à un endroit, puis des remontées dans d’autres parties de ce temps, en passant par des lignes droites, sans oublier les courbes et les doubles boucles de ce même temps - Pour l’espace, pareil - Voilà ce qui attend notre bienveillant lecteur. Lequel, rien ne l’empêche de donner son très estimable avis. Nous le remercions d’avance et lui souhaitons d’agréables voyages.

mercredi 14 décembre 2011

Des bûchers à Arras

Philippe le Bon

Pendant l’heureux règne du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, tout se jugeait dans les Flandres selon les caprices et la violence.  Ce qui se passa dans la bonne ville d’Arras, en 1459, fut effrayant.  Il y avait dans cette cité flamande, comme dans tous les diocèses de France, un inquisiteur de la foi, un jacobin nommé Pierre le Brousart.

Ce jacobin était allé à Langres, participer au chapitre général de son ordre.  Pendant son séjour, on avait brûlé dans cette ville, un ermite nommé Robinet le Vaux. Il avait été reconnu Vaudois.  C’était le nom que l’on donnait aux hérétiques.  Ce Robinet était natif d’Artois.  A son retour, le jacobin raconta, qu’en mourrant Robinet avait confessé que de nombreux Vaudois vivaient à Arras et aux alentours.  Les inquisiteurs commencèrent à les rechercher.

Vers la Toussaint, on fit saisir à Douai, une femme d’une trentaine d’années, d’assez mauvaise vie, nommée Deniselle et à Abbeville, un vieux peintre nommé Jehan la Vitte.  Il avait été en son temps, rhétoricien, compositeur de balades et auteur de cantiques en l’honneur de Dieu et de Notre-Dame.  Joyeux compagnon, ses bons mots amusaient. Tout le monde l’aimait et le surnommait gentiment l’abbé de Peu-de-Sens.  Avec le consentement des échevins d’Arras, tous deux furent jetés dans la prison de l’évêque.  Au fond de son cachot, désespéré, le vieil homme, à l’aide d’un petit couteau, tenta de se couper la langue, la trop vive douleur l’empêcha de continuer.  Mais, bien qu’il ne pût parler, on le mit à la torture. Comme le bonhomme savait écrire, il écrivit sa confession.  Il avoua, de même que Deniselle, torturée à plusieurs reprises elle aussi, qu’ils étaient allés aux assemblées de Vaudois, et qu’ils y avaient  vu bon nombre d’habitants d’Arras.

Les vicaires de l’évêque et quelques chanoines, virent l’erreur et sentirent le scandale arriver. Ils furent d’avis de n’en plus parler et de mettre en liberté les prisonniers.  Jacques Dubois, doyen du chapitre et l’évêque de Varut, qui remplaçait momentanément l’inquisiteur, s’opposèrent fermement à cette libération.  A Péronne, ces deux-là allèrent trouver Jean de Nevers, comte d’Etampes et cousin germain de Philippe le Bon.  Après les avoir écouté, le comte, se rendit à Arras.  Sous la menace, il ordonna aux chanoines de faire leur devoir.  Le procès continua donc, à la grande satisfaction des deux compères.  L’on arrêta encore un barbier, un sergent de ville, une bourgeoise et trois filles de joie.  Comme il était de règle, ces nouveaux accusés furent mis à la question.  Pour garantie, le tribunal envoya leurs aveux, en consultation, à l’évêché de Cambrai.  Les docteurs en théologie de cette ville déclarèrent que puisqu’on n’imputait aux prisonniers ni meurtres, ni profanation de l’hostie, il suffirait de les admonester et de les faire renoncer à leur pêché.

Cette réponse déplut aux deux inquisiteurs, ce n’était pas ce qu’ils recherchaient.  Ces Vaudois devaient être mis à mort.  Tous leurs efforts tendaient à faire brûler ces pauvres gens, et ils s’y employaient activement.  Plus que zélé, le doyen disait que non seulement que les accusés étaient Vaudois, mais que ceux qu’ils dénonçaient ou dénonceraient l’étaient aussi.  D’ailleurs, ajoutait maître Dubois, les Vaudois était si nombreux qu’on ne pouvait guère se tromper dans les condamnations.  A l’entendre, le tiers des chrétiens était coupable de vauderie.  Ceux qui osaient le contredire devenaient, à ses yeux, très suspects.  Prudent pourtant, il ajoutait qu’il ne faudrait pas s’étonner, si, sur le bûcher, les accusés se rétractaient. Le diable les y pousserait pour les avoir en enfer.  Varut approuvait son complice et n’en racontait pas moins que lui. Il assurait qu’il y avait des évêques, des cardinaux même, et des grands maîtres qui étaient Vaudois. Ceux-ci étaient secrètement partout.  S’ils arrivaient à convaincre quelque prince ou roi, c’en était fait de la chrétienté.  Il voyait des Vaudois partout.  Un vrai complot.  L’évêque avait une telle imagination, qu’à la première vue il savait juger si un homme était de la vauderie.  Aussi, l’évitait-on le plus possible.  Personne ne pouvait aider un Vaudois, ni père, ni mère, ni frère, ni parent ou ami sans être compromis.  Nobles ou bourgeois, riches ou pauvres, tous devaient brûler.  Deux ou trois témoins suffisaient pour accuser un innocent, du crime de vauderie.  Le comte d’Etampes montrait le même enthousiasme à faire brûler ces hérétiques.  Il pressait sans cesse le jugement des prisonniers.  Sous l’autorité du duc de Bourgogne, on nomma des commissaires pour prononcer les accusations.  L’évêque de Varut et le doyen choisirent pour commissaires les chanoines du chapitre, l’abbé de Saint-Waast, des jacobins, quelques avocats et docteurs en droit, parmi eux Gilles Flamand.

Le 9 mai, en chemise et revêtus de mitres où l’on avait peint des hommes rendant hommage au diable, les prisonniers furent conduits sur un grand échafaud dans la cour de l’évêché.  La foule était immense.

La veille, l’un des accusés, Jehan le Febvre, s’était pendu dans son cachot.  Suicide ou meurtre ?  - Peur de certaines révélations ? - la question fut posée.  Toujours est-il que sa mort n’empêcha pas que l’on porta son corps sur l’échafaud pour y entendre sa condamnation.

L’inquisiteur prêcha publiquement.  Il commença par expliquer, au peuple, la vauderie.  Lorsqu’on voulait s’y rendre, disait-il, on frottait un bâton avec un onguent composé de cendres d’un crapaud à qui on avait fait manger une hostie consacrée, de poussière d’os humains détrempée dans le sang d’un petit enfant vierge, le tout mélangé avec des herbes et d’autres choses encore.  Ensuite, l’on enfourchait ce bâton, et l’on était aussitôt transporté par les airs au lieu où s’assemblaient les Vaudois.  Là, se trouvait le diable, sous le forme d’un singe, d’un bouc, ou d’un chien et quelquefois d’un homme.  Les Vaudois lui rendaient hommage en l’embrassant à l’arrière.  Ils l’adoraient dans de vilaines et sales cérémonies.  Sur son ordre, ils marchaient sur la croix et crachaient dessus.  Ils insultaient aussi le ciel en lui tournant le dos et en se baissant.  C’était, racontait l’inquisiteur, l’abbé de Peu-de-Sens qui était maître de ces cérémonies et enseignait les nouveaux venus.  Sur des tables étaient servies de grandes quantités de viandes et de vins.  Les Vaudois buvaient et mangeaient - une horreur ! -  A la fin du repas, ils éteignaient les chandelles et se livraient à mille abominations entre eux.  Le diable se faisait tantôt homme, tantôt femme.  Tous se rendaient coupables de bougrerie et de crime contre Dieu.  Tout cela était si horrible, que l’inquisiteur assurait même qu’il ne pouvait pas tout dire.  De plus, le diable interdisait aux Vaudois d’aller à l’église, de prendre de l’eau bénite, de se confesser et de faire signe de croix.  S’ils y étaient contraints, ils devaient répondre : «  n’en déplaise à notre maître ».  Le diable leur racontait aussi qu’avec la mort tout était fini, qu’il n’y avait pas d’autre vie et que l’âme n’existait pas.  On disait encore que ceux qui désiraient revenir au sein de l’Eglise, étaient battus à coups de nerf de bœuf.
Quand l’inquisiteur eut fini, il demanda aux accusés si tout cela était vrai.  Ensemble, ils répondirent  oui.  L’évêque prononça alors la sentence.  Comme membre pourris, les accusés étaient retranchés de l’Eglise et livrés à la justice séculière.  Leurs héritages confisqués au profit du seigneur, on dirait aujourd’hui au profit de l’Etat, et leurs biens-meubles au profit de l’évêque.  Le prévôt s’empara aussitôt des condamnés.  Les échevins rendirent immédiatement la sentence d’exécution.    Lorsque les pauvres femmes entendirent qu’elles allaient être brûlées, elles commencèrent à pousser des cris. Elles s’adressèrent à Gilles Flamand, l’un des commissaires : « ah ! faux traître, tu nous a déçues ; tu nous disais d’avouer ce qu’on nous demandait, et que nous n’aurions d’autre pénitence que d’aller en pèlerinage à cinq ou à six lieues.  Tu le sais bien, méchant, que tu nous as trahies. ».  Elles protestèrent que c’étaient à force de tortures et de promesses qu’on leur avait fait confesser toute cette vauderie, mais que tout était faux.  Les cris de désespoirs ne servirent à rien.  On les emmena devant la halle de la ville où les attendait un bûcher.  Jusqu’à la fin les innocentes victimes se montrèrent chrétiennes. Elles se recommandèrent aux prières des fidèles et clamèrent encore leur innocence.  Quant à Deniselle, elle fut reconduite d’où elle venait, à Douai, pour y être brûlée à son tour.

A Arras, les poursuites continuaient contre de nouveaux accusés.  Ce n’étaient plus des gens du peuple et des prostituées, mais des riches bourgeois, des échevins qu’on recherchait.  On arrêta, de cette manière, un chevalier de  soixante-douze ans nommé Payen de Beaufort.  Il fut prévenu qu’on l’accuserait de vauderie, et ne voulut pas s’enfuir. Il trouvait ces poursuites absurdes.  On l’arrêta cependant.  Il demanda à parler au comte d’Etampes, qui refusa de le voir.  Pendant ce temps les exécutions continuaient et ceux qu’on menait au bûcher criaient toujours la même chose : on les avait trompés.

Tout cela commençaient à faire grand bruit dans la ville.  Les échevins ne voulaient plus prononcer l’arrêt de la justice séculière. Malgré leur opposition, les exécutions se poursuivaient. Pour juger des accusés plus considérables, on nomma d’autres commissaires.  L’évêque de Varut conduisait toujours les affaires.  Baudouin de Noyelles, le sire de Crèvecoeur, Philippe de Saveuse, un jacobin, confesseur du duc de Bourgogne, Jean Forme, secrétaire du comte d’Etampes, furent les nouveaux commissaires.  Chaque jour on saisissait des bourgeois.  Tout le monde tremblait dans la ville.  Il n’y avait personne si notable, sujet si loyal, chrétien si fidèle, qui ne courût le risque d’être inculpé pour vauderie.  De plus en plus, le bruit de ce qui se passait à Arras se répandait dans tout le royaume de France.  L’indignation était si grande, que, dans beaucoup de villes, on ne voulait plus loger les marchands artésiens, ni commercer avec eux.
Les gens savants et sages commençaient à penser qu’il y avait là-dessous quelque dérèglement.  Peu à peu, chacun commençait à penser ainsi.  Cependant, rien ne semblait arrêter l’ardeur des commissaires.  Mais le sire de Beaufort et les autres prisonniers savaient mieux se défendre que les malheureux qu’on avait brûlés.  Les accusés requirent la présence de l’inquisiteur du diocèse de Tournai, et de plusieurs autres ecclésiastiques.  La plupart refusèrent de venir.  Ils ne désiraient pas entrer dans cette affaire fumeuse.  Seul, l’inquisiteur de Tournai s’y rendit.  Le refus des ecclésiastiques de participer et les déclarations que fit l’inquisiteur de Tournai, commencèrent à inquiéter.  Pour se protéger, les vicaires, Varut, Gilles Flamand, et d’autres encore s’en allèrent à Bruxelles.  Ils tentèrent de convaincre le duc de Bourgogne, de la nécessité de juger les Vaudois.

Jean de Nevers
Ce qu’on disait de tous côtés sur cette affaire dérangeait Philippe le Bon, soucieux de soutenir la foi chrétienne et surtout de maintenir son autorité.  Ses conseillers lui avaient rapporté qu’en France  et principalement à Paris, on disait que le duc faisait brûler à Arras des gens riches et nobles pour avoir l’argent de leurs biens.  Ces affirmations lui déplaisaient beaucoup.  Le duc interrogea les plus habiles docteurs de l’Université de Louvain.  On leur montra le procès du sire de Beaufort et des autres accusés.  Ils firent observer que malgré les très nombreuses tortures, plusieurs accusés n’avaient rien confessé.  Une grande diversité d’opinions régnait parmi tous ces docteurs.  Les uns soutenaient que tout était illusion, les autres disaient que lorsqu’un homme s’était donné au diable, Dieu permettait que le diable exerçât sur lui toute sa puissance.  Pas plus avancé, le duc, toujours incertain, envoya à Arras, pour voir et interroger les prisonniers, Toison d’or, un homme de confiance.  Pendant tout le séjour que fit à Arras Toison d’or, on traita les accusés plus humainement.  L’inquisiteur ne fit plus saisir personne.  Le procès terminé fut envoyé au duc.  Philippe le Bon le fit encore examiner.  Après étude, il renvoya le dossier à Arras.  Le jugement fut prononcé en public et sur un grand échafaud.  L’inquisiteur imputa aux nouveaux accusés exactement les mêmes faits qu’aux premiers.  Le sire de Beaufort avoua tout et demanda miséricorde.  Il en fut de même pour l’échevin Jean Taquet.  Pierre Carrieux se mit à crier que tout cela était faux et qu’il n’avait avoué que par la torture.  Les gardes eurent beaucoup de difficultés à le faire taire.  Le quatrième était un nommé Huguet, surnommé Patenostre, il avait été mis quinze fois à la question.  Tenace, on avait été jusqu’à lui bander les yeux et lui mettre la tête sur le billot.  Cette ultime tentative ne pu le forcer à se reconnaître pour Vaudois.  Alors, comme il fallait bien le condamner, on lui attribua pour crime le fait de s’être évadé de sa prison.  Pierre Carrieux, pour avoir dit la vérité, fut exécuté ; les autres furent condamnés à des peines de prisons et à de fortes amendes.  Comme des vautours, les officiers du duc s’emparèrent de tous les biens confisqués, au nez et à la barbe des échevins qui espéraient rafler le butin.

Ce furent les dernières condamnations.  Le désordre était devenu si fort dans l’Artois et en France, que le duc s’aperçut enfin qu’il devait le faire cesser.  Ceux qui avaient fui les arrestations étaient allés demander justice au Parlement de Paris ou avaient porté leur plainte au pape.  Les choses se gâtaient.  Varut, le doyen et presque tous les commissaires se retirèrent.  Il se hâtèrent de mettre en liberté tous les prisonniers qui n’avaient pas encore été jugés.  La plupart avait subi d’atroces supplices.  La mort des premiers apparaissait maintenant dans toute son injustice et sa cruauté.  Mais les biens des victimes innocentes restaient confisqués.  Les amendes n’étaient pas restituées.  Le sire de Beaufort et quelques autres croupissaient toujours en prison.  Le peuple murmurait.  Sous formes de balades, des pamphlets circulaient. Ils attaquaient Varut, le doyen et les commissaires.  Le fils du sire de Beaufort avait porté son recours à Paris.  On regardait alors, le Parlement de cette ville comme la source de toute justice.  Le duc n’aimait pas ce Parlement qui voulait retenir toutes les causes de Flandre.  Mais comme sujet du roi de France, il devait accepter son intervention de ses affaires.  C’était d’ailleurs ce qui pouvait arriver de mieux aux sujets du duc que d’être jugés par ce Parlement.

Cette cour envoya, à Arras, un huissier, accompagné de trente hommes armés.  Il tira de sa prison, le sire de Beaufort. Sous escorte, celui-ci fut conduit à Paris.  Le Parlement cita les vicaires de l’évêque, qui comparurent.  Devant ce tribunal, maître Jean de Popincourt plaida la cause du sire de Beaufort. Il révéla les fausses promesses et les tortures dont on avait usé pour obtenir les aveux et les témoignages contre ceux qu’on voulait poursuivre.  Il dit comment le sire de Saveuse avait sauté de joie, lorsqu’on eut, à force de souffrances, tiré de quelques malheureuses des faits à la charge du sire de Beaufort.  Comment Saveuse eut aussitôt envoyé un commissaire au duc, pour lui faire part qu’il y avait moyen d’accuser ce chevalier et d’autres hommes riches dont on pourrait tirer de l’argent.  La manière dont le doyen d’Arras s’était jeté aux pieds du vieillard, le conjurant de s’avouer coupable, de ne point perdre sa famille, de ne pas se laisser mettre à la torture, lui promettant qu’il ne subirait aucune condamnation.  Comment il lui avait dit de ne pas se soucier de déposer le contraire de la vérité, parce que lui, doyen l’en absoudrait.  Comment, outre les amendes portées au jugement, il lui avait fallu payer quatre mille francs au duc, deux mille au comte d’Etampes, mille au bailli d’Amiens, et deux cents au lieutenant pour s’affranchir de cette affaire.
Le pourvoi de maître Taquet et des autres condamnés, l’appel interjeté par les parents des malheureux condamnés exécutés, les enquêtes faites à Arras par l’inquisiteur du diocèse de Paris, dévoilèrent les dessous de ces affaires et les barbaries exercées sur les victimes.  Pour se procurer de l’argent, ou pour se venger, on avait brûlé les pieds, versé du vinaigre et de l’huile bouillante sur les plaies, comprimé les têtes ou les membres avec des cordes à nœuds, pendu les femmes par les cheveux et foulé aux pieds ces malheureuses.
 
Ceux qui avaient été condamnés à la prison ne tardèrent pas à être mis en liberté.  Mais l’affaire n’en resta pas là.  Les commissaires avaient été pris à partie, et les condamnés ou leurs parents demandaient à présent, réparations et dommages à ceux qui les avaient jugés contre les lois et la justice.  Le procès dura plus de trente années.  La justice fut rendue en 1491.  Le Parlement prononça un arrêt qui condamnait le duc de Bourgogne, le comte d’Etampes, le sire de Saveuse, l’évêque de Varut, le doyen et les autres commissaires.  Ils devaient restituer tout ce qui avait été confisqué ou exigé des accusés et leur imposait des amendes.

Le duc de Bourgogne était mort depuis vingt-cinq ans, et sa descendance éteinte.  Le doyen d’Arras avait perdu la raison et n’avait survécut qu’une année à ses malheureuses victimes.  Le comte d’Etampes venait de mourir et ses serviteurs ne vivaient plus.  Juges, bourreaux, condamnés n’étaient plus de ce monde.

Jean Angenost, conseiller du Parlement, se transporta à Arras.  Il se fit montrer le lieu où les Vaudois avaient été brûlés.  L’arrêt du Parlement portait qu’aux frais des anciens juges, une grande croix de pierre serait élevée en expiation à cet endroit.  Un échafaud y fut dressé, le peuple fut convoqué à venir écouter la lecture du jugement et le sermon d’un docteur de l’Université de Paris, qui devait défendre la mémoire des pauvres condamnés.  Les habitants s’y rendirent en foule, bannières déployées.

De cette manière se termina cette triste histoire.

« Instruisez-vous, vous qui jugez la terre »

Tel fut le sens du sermon prononcé ce jours-là à Arras.

Heureusement que nous vivons une époque moderne…enfin espérons-le.


Arras

mardi 29 novembre 2011

L'Alcazar de Tolède assiégé

Tolède

Une histoire dramatique que celle qui va suivre.  Elle se passe en 1936, en Espagne dans la très belle ville historique de Tolède.  Elle ne se termine ni bien ni mal.  Seuls sont vaincus les morts, peu importe leur côté.  Ils ne sont ni bons ni mauvais, ils sont simplement victimes de leur folie.  Quant aux vivants, ils sont en sursis, pour eux la guerre ne fait que commencer…

Depuis le 18 juillet, on se battait dans Tolède.  Dès que la nouvelle de l’insurrection du général Franco y était parvenue, le colonel Moscardo et ses hommes avaient pris les armes contre la république.  Les forces fidèles au gouvernement légal et les milices populaires entendaient bien résister aux militaires rebelles.

Siège de l’école des cadets, d’un accès difficile, d’étroites rues y conduisent, l’Alcazar est une masse qui domine le Tage.  Cette solide construction parut au colonel Moscardo le lieu indiqué pour diriger la lutte et soustraire ses compatriotes à la fureur des « Rouges ».

Construite au XVIe siècle dans la partie la plus haute de la ville, de forme rectangulaire, l’Alcazar était une forteresse que Charles Quint convertit en résidence royale.  En 1810, l’Alcazar fut incendié par les troupes napoléoniennes.  Reconstruit, il fut utilisé comme maison des sœurs de la Charité, puis comme académie militaire.  

Le 22 juillet, devançant ses ennemis, Moscardo s’enferme dans la forteresse.  Il emmène avec lui, soldats mutinés, notables et les familles des gardes civils.  Le temps pressant, il ne peut emmener son épouse, Doña Maria, réfugiée chez un ami, et deux de ses fils, Luis, dix-sept ans et Carmelo, quatorze ans.

A près de soixante ans, le colonel Moscardo garde encore toute sa verdeur.  Militaire dans l’âme, nationaliste et fervent catholique, il n’admet ni défaillance, ni manquement à la discipline.  C’est un dur.

Sa première préoccupation est de mettre en défense l’Alcazar.  Quelques jours plus tôt, par un hasard providentiel, il a reçu l’ordre du gouvernement de réunir et d’expédier à Madrid, toutes les armes, munitions et médicaments en dépôt à Tolède.  Moscardo, s’est bien acquitté de la première partie de la mission, mais au lieu d’envoyer le tout à Madrid, trompant la république, il effectue le transfert vers l’Alcazar.

Il a de cette manière, emmagasiné, un million trois cents mille cartouches, mille deux cents fusils, trente-huit mitrailleuses et un mortier.  Du blé et des conserves fournissent le ravitaillement provisoire.

650 gardes civils, 200 cadets et élèves de l’école de gymnastique, 160 officiers et soldats, 85 phalangistes, 2 médecins et un chirurgien militaire.  600 femmes et enfants, 200 notables, 3 religieuses infirmières et leur mère supérieure, en tout quelque 2000 personnes forment la garnison de la forteresse.

Dans cette citadelle, la place ne manque pas.  L’Alcazar est un véritable dédale de chambres, de salles hautes, de galeries et de souterrains.  Le tout protégé par une  haute muraille épaisse de plus de trois mètres.  Deux cents dix chevaux et trente mulets occupent les écuries.  Leur nombre va considérablement diminuer,  Les animaux serviront de viande aux assiégés.  A la fin du siège, il n’en restera que six.  Faute de sel, on saupoudre les quartiers de viande de salpêtre, gratté sur les murs.  Restées coquettes malgré les événements, les femmes profitent du salpêtre pour se poudrer le visage.

La confiance et la bonne humeur marquent les visages des rebelles.  L’électricité coupée, on s’éclaire de mèches trempées dans la graisse des animaux abattus.

L'ancien Alcazar
                                                        

Seuls contacts vers l’extérieur, une radio branchée sur les stations franquistes de Milan et de Lisbonne et le téléphone que les républicains ont épargné.  Cette ligne sert  de moyen de communication entre les adversaires.

Le 23 juillet, Moscardo tient conseil lorsque le téléphone sonne.  Le républicain, Candido Cabello, chef de la milice appelle :

-       Colonel Moscardo, êtes-vous décidé à abandonner l’Alcazar ?
-       Je suis décidé à y demeurer.
-       Je vous laisse dix minutes pour changer d’avis. Passé ce délai, nous agirons.  Mais auparavant, je cède la place à un quelqu’un d’autre.  Restez à l’écoute.

Dans l’écouteur, une  voix jeune et vibrante, Moscardo reconnaît son fils Luis.

-       Papa, les miliciens m’ont arrêté.  Ils disent qu’il me fusilleront si tu refuses de les écouter.  Je sais d’avance ta réponse, mais je veux l’entendre de toi-même.  Parle, j’obéirai.  Que dois-je faire ?

La main crispée sur le récepteur, d’un ton calme, celui d’un chef, Moscardo lui répond :

-       Recommande ton âme à Dieu et prie-le de te donner le courage nécessaire.  Que ton dernier cri soit : « Vive l’Espagne ! Vive le Christ-Roi ! »
-       Ne crains rien, tu n’auras pas à rougir de moi.  Je t’embrasse bien fort, papa !
-       Je t’embrasse bien fort, mon fils !

Un silence, puis Moscardo poursuit :

-       Candido Cabello, inutile d’attendre les dix minutes.  Vous pouvez raccrocher.

Colonel Moscardo

Un grand signe de croix avant de reposer le combiné et le colonel s’éloigne de l’appareil.  Il revient à sa place, se rassied devant ses officiers et commande :

-       Reprenons, Messieurs !

Le 25 juillet, Luis tombait, pour l’Espagne et le Christ-Roi, sous les balles du peloton d’exécution.   Certains historiens ont mis en doute cette histoire.

Le siège de l’Alcazar de Tolède va, à présent, commencer.

L’artillerie républicaine tire sur l’Alcazar.  Chaque jours, les brèches s’ouvrent de plus en plus largement.  Malgré ses tours démantelées, ses façades criblées de projectiles, l’Alcazar résiste.  Parfois, une brève accalmie.  Le téléphone sonne et toujours l’inutile question et encore le même dialogue stérile entre le général républicain Riquelme et le franquiste Moscardo.

- Colonel, ne m’obligez pas à détruire notre noble Alcazar !
- Général, ne me demandez pas de le déshonorer !
Général Riquelme

Dans le patio central, témoin muet de cette lutte fratricide, la statue de Charles-Quint demeure encore debout.

Le 29 juillet, Radio-Madrid annonce la reddition de l’Alcazar.  Nouvelle aussitôt démentie par les radios franquistes. 

Les bombardements s’intensifient, cinq cents obus par jour tombent sur la forteresse.  Au début, on enterre les victimes dans les terrains de l’esplanade.  Mais lorsque les tirs deviennent plus intenses, plus meurtriers, on doit utiliser les anciennes cabines de bains du sous-sol.  On y mure le mort debout, appuyé contre la paroi intérieure.  Sans prêtre, les assiégés se réunissent dans la chapelle pour prier et invoquer la Vierge.  Ces prières se terminent toujours par : «  Si je meurs, je meurs, mais ce que je crois ne meurt pas ! ».

                                                  

Durant ces terribles mois d’août et de septembre, les actes de courage se multiplient des deux côtés. 

                                                       

Pour les républicains, les nouvelles du front deviennent alarmantes.  Dans tout le pays, les armées franquistes avancent.  La résistance de l’Alcazar incite le général Franco à reporter son offensive contre Madrid.  Ses troupes doivent prioritairement délivrer les assiégés, devenus des symboles.  Cette décision sauve Madrid mais va prolonger la guerre et ses victimes.

Déjà, des avions larguent du ravitaillement et des proclamations sur l’Alcazar.

« Vainqueurs sur tous les fronts, nous volons à la victoire ;  Tenez à tout prix ;  Vive l’Espagne ! – Général Franco ».

Devant la situation, les républicains essaient d’obtenir, sinon la reddition complète de l’Alcazar, du moins une évacuation partielle.  Le 9 septembre, ils proposent à Moscardo de recevoir un parlementaire.  Ils ont choisi Rojo, un de leurs officiers, ancien adjudant de Moscardo à l’école de gymnastique.

Le 10 septembre, Rojo se présente à l’entrée de l’esplanade.  Un phalangiste lui bande les yeux et le conduit à Moscardo.  Là, le bandeau ôté, il s’assied et la conversation commence.  Dramatique rencontre de deux hommes braves, jadis amis que les divisions de l’Espagne ont séparé.  Il reste, malgré tout, chez les deux officiers, une estime réciproque.  

Général Rojo

Comme d’habitude, Moscardo se montre irréductible. – l’Alcazar ne se rendra jamais - est sa réponse.
Cependant il demande une seule chose à son ancien ami : un prêtre.

Les républicains lui envoient donc un prêtre.  Le vénérable Don Enrique Vasquez Camarasa, chanoine à la cathédrale de Madrid se présente le lendemain à l’Alcazar.

En civil, une valise, contenant les objets du culte, dans une main et dans l’autre un grand crucifix, il pénètre dans la forteresse.  Moscardo s’incline respectueusement à son approche.  Don Enrique ne peut rester que trois heures.  Sans perdre de temps, la messe commence.  Le délai trop court ne permet pas au prêtre d’entendre chaque fidèle en confession.  Le sacrement sera général et collectif.  Avant de partir, Don Enrique se rend auprès des blessés et bénit les terribles portes murées des cabines de bains.

A la porte de la forteresse, Don Enrique renouvelle les propositions de Rojo.  Moscardo lui répond : « Mon père, je commande ici mes soldats, non des femmes et des mères.  C’est donc à elles seules qu’appartient la décision.  Interrogez-les. »

Après s’être adressé aux femmes qui l’ont accompagné, le prêtre entend cette réponse : « Nous n’abandonnerons jamais nos maris.  Nous garderons nos enfants près de leurs pères.  S’il le faut, nous lutterons et mourront avec eux.  Nous n’abandonnerons l’Alcazar qu’après la victoire ! »

Les jours suivants sont des journées d’espoirs et d’angoisses pour les assiégés.  Les troupes franquistes s’approchent de Tolède.  La délivrance ne peut tarder.

Mais le 16 septembre, les rebelles enfermés dans l’Alcazar, entendent un grondement sous leurs pieds. Bruits sourds de perforatrices creusant le sol.  Des pionniers venus des Asturies, préparent une mine pour faire sauter la citadelle.

Pendant quarante-huit heures, les assiégés entendent l’angoissant écho.  A tout moment, l’explosion peut avoir lieu.  La peur marque les visages.  Le 18, à 7 heures du matin, c’est l’explosion tant redoutée.  Une détonation formidable secoue l’édifice entier.  Dans un immense nuage de poussière, la grande tour sud-ouest s’écroule.  La dynamite des Asturiens a encore pulvérisé la façade ouest et anéanti ses dépendances.  Par chance, Il n’y a que très peu de perte chez les nationalistes.  Au même moment les républicains attaquent.  Dans l’Alcazar devenu cimetière, de toutes les issues, de tous les éboulis de pierres, de ferraille, les défenseurs ouvrent le feu sur les assaillants - Brève et terrible lutte - devant l’intensité de la résistance, les républicains ne peuvent plus avancer.  Ils doivent reculer.  L’ultime assaut se solde sur un échec.

L'Alcazar après l'explosion
                                                             
A présent, Tolède se trouve sous le feu de l’armée franquiste.  Sans renfort, pour éviter l’encerclement, les républicains évacuent la ville pour assurer, plus au nord la défense de Madrid.

Place Zocodover de nos jours

Le 26 septembre, règne un silence étrange autour de l’Alcazar.  Le lendemain, vers 7 heures du soir, des silhouettes apparaissent sur la place du Zocodover, ce sont les premiers éclaireurs de la colonne franquiste Yagüe.

Le siège de l’Alcazar se termine.

Le lendemain, sur l’esplanade, les combattants de l’Alcazar saluent le général Varela venu les secourir.  Le général Franco viendra à son tour exprimer aux défenseurs la reconnaissance de l’Espagne.  Plus tard, Moscardo fera visiter les lieux au reichführer SS Heinrich Himmler.  En 1948, Franco fera Moscardo, Comte de l’Alcazar.




Franco dans les ruines de l'Alcazar



Himmler visitant les ruines de l'Alcazar
                                                   
Le siège dura 68 jours.  Il eut en tout : 82 morts, 430 blessés,  2 morts naturelles, 3 suicides, quelques disparitions et deux naissances.

La bataille de l’Alcazar ne fut qu’un des nombreux épisodes de la guerre civile espagnole, mais elle a marqué la mémoire des hommes.   Moscardo est décédé en 1956, son corps repose dans la forteresse reconstruite.

De nos jours, l’Alcazar de Tolède accueille la bibliothèque de Castille et le musée de l’armée espagnole.    


Le nouvel Alcazar

mercredi 16 novembre 2011

Le cadeau espagnol

Prinsenhofplein

A Gand, sur la Prinsenhofplein, s’élève dans toute sa gloire, la statue de Charles-Quint.  Pourtant, les Gantois n’ont pas beaucoup d’enthousiasme pour ce personnage.  Mais, comme ce sont des gens bien élevés, ils ont érigé une statue au grand empereur.  Il faut pourtant avoir l’honnêteté de reconnaître  qu’ils ne sont pas à l’origine de cette initiative.  La belle statue est un cadeau de la ville espagnole de Tolède à la cité qui vit naître le grand homme.

Jadis, sur cette place, s’élevait une résidence princière (Prinsenhof).  Dans ce palais, le 24 février 1500, il eut une fête.  Au milieu de la nuit, Jeanne de Castille, enceinte, pressée par une envie soudaine, se rendit aux toilettes.  Ainsi naquit le grand Charles-Quint.




Prinsenhof



 
Il fut très fier de sa ville natale.  Personne n’a oublié sa  phrase célèbre  :
« Je mettrais Paris dans mon Gand ».

Charles-Quint peut bien dire qu’il est né sous une bonne étoile.  Seulement celle-ci avait oublié de lui donner la beauté.  On ne peut pas tout avoir.  Il faut l’avouer, Charles n’était pas beau.

Du côté des Habsbourg, il n’avait pas simplement hérité des clés du trône de l’empire mais avait aussi les traits de son grand-père Maximilien.  La plupart des portraits connus de Charles ont été retouchés.  Ce genre de peintures ne reflètent que rarement la vérité. 


Maximilien
Charles-Quint

En réalité, l’empereur était de taille très moyenne.  Il possédait un nez aquilin un peu de travers et un menton viril.  Ce menton était, hélas, assez proéminent et pas vraiment à niveau. Ce qui l’empêchait de joindre les dents.  De ce fait, sa bouche restait constamment entrouverte.  La barbe qu’il portait, dissimulait un peu cette imperfection physique.
Sa dentition était largement ruinée.  Les dents fort peu nombreuses étaient cariées.  Son haleine n’était pas spécialement parfumée d’essence de rose.  L’odeur qu’elle exhalait, il la combattait en mangeant du sucre.  Ce qui, on s’en doute, ne devait pas faire vraiment  plaisir à ses dents. 


Malgré cela, il devait être une force de la nature, pensez-vous ?  Il faut décevoir le lecteur.  Il n’avait pas une bonne santé.  Avant son mariage, il fut épileptique.  A partir de trente ans, il fut victime de nombreuses attaques de goutte.  Il était régulièrement dépressif.  Il devint diabétique et  fut finalement, à 58 ans, vaincu par la malaria.

Alors, il fut peut-être un grand penseur, me direz-vous ?  La réponse est une nouvelle fois : non. Les livres ne l’intéressaient pas.   Et malgré certaines citations, il ne possédait aucuns dons pour les langues.  Il parlait français, un tout petit peu de flamand, un peu de latin et pour faire illusion, quelques bribes d’autres langues.    Mais tout cela ne le gênait pas.  Ce n’était que de la bagatelle pour lui.

Par contre, il possédait une incroyable volonté et savait pertinemment bien que le pouvoir était à lui et à lui seul.  Ses victoires sur les champs de bataille, lui offraient l’honneur et la renommée.  A cette époque, ces deux qualités, faisaient d’un prince, un important seigneur.  Ajoutons encore que Charles était un grand travailleur et un très fervent catholique. 

S’il avait un bon ou un mauvais caractère ?  C’est à voir.  Il existe de nombreux récits relatant ses escapades parmi le bon peuple. Ces histoires populaires décrivent sa sagesse et son grand cœur.

Mais aux yeux des Gantois, il en va tout autrement. Si le lecteur lit cette histoire, oserait-il encore penser que Charles-Quint avait du coeur ?

Les Gantois sont encore de nos jours appelés : Stroppendragers (porteurs de cravates) ou parfois « petites cravates ».  Cette appellation conduit, naturellement, au bon Charles.

L’empereur Charles-Quint et les Gantois, c’est une histoire vieille de plus de 470 ans qui n’est pas tout à fait terminée.

L’empereur avait fait de sa tante Marguerite d’Autriche ( on est très famille chez les Habsbourg) régente des Pays-Bas.  Lorsqu’en 1539, pour financer une nouvelle guerre, Charles eut besoin d’argent, il s’adressa aux Gantois.  Ceux-ci refusèrent de payer cet impôt supplémentaire.  Leur prétexte n’étant pas valable aux yeux de l’empereur, il vint en personne punir les récalcitrants.  Le moins que l’on puisse dire c’est que tendre, il ne l’a pas été.  D’abord, il fit démolir le vénérable monastère Saint-Bavon qu’il remplaça par une méchante forteresse espagnole.  Ensuite, il limogea tout le conseil de la ville et se réserva la nomination des nouveaux échevins.  Puis, les métiers perdirent tous leurs droits.  Il fit arrêter la construction du nouvel hôtel de ville.  Gand dut payer en plus de l’impôt de guerre, une très forte amende.  Mais ce ne fut pas tout, outre les nombreuses arrestations et exécutions, les habitants durent, en chemise de nuit, pieds nus, une corde autour du cou, défiler en procession dans toute la ville.  Les « cravatés » partirent de la Sint-Baafsplein pour se rendre à la Prinsenhofplein (là où se trouve la statue) demander le pardon de Charles. 


                                                                          

De nos jours, les Gantois se souviennent encore de cette humiliation.

Chaque année, pendant les fêtes de la cité, la guilde des «cravatés » organise un cortège « stropkesstoet ».  Dans la dignité, comme leurs ancêtres, ils traversent la ville en chemise de nuit, pieds nus, une corde autour du cou.