Imaginons ensemble, une pièce sombre, voûtée, sans décoration, où un grand album en forme de missel relié de velours rouge, à ferrures antiques, repose, solitaire, sur un lutrin éclairé par un unique flambeau.

Rêvons ensemble, que ce grand album soit un recueil d’illustrations. Dessins de villes, d’instantanés de vie, où en regard de chaque illustration, écrit de la main des hommes, des récits vrais et moins vrais. Livre précieux, que l’on Feuillette, avec les yeux émerveillés, d’un enfant d’autrefois devant de belles images.

Au hasard, nous tournerons ses pages. Nous arrêtant seulement devant une illustration, selon ses couleurs, nos envies et au gré du vent.

Si le lecteur, bienveillant ( et nous le savons bienveillant), possède une âme quelque peu d’artiste, il comprendra. Des descentes dans le temps à un endroit, puis des remontées dans d’autres parties de ce temps, en passant par des lignes droites, sans oublier les courbes et les doubles boucles de ce même temps - Pour l’espace, pareil - Voilà ce qui attend notre bienveillant lecteur. Lequel, rien ne l’empêche de donner son très estimable avis. Nous le remercions d’avance et lui souhaitons d’agréables voyages.

mercredi 16 novembre 2011

Le cadeau espagnol

Prinsenhofplein

A Gand, sur la Prinsenhofplein, s’élève dans toute sa gloire, la statue de Charles-Quint.  Pourtant, les Gantois n’ont pas beaucoup d’enthousiasme pour ce personnage.  Mais, comme ce sont des gens bien élevés, ils ont érigé une statue au grand empereur.  Il faut pourtant avoir l’honnêteté de reconnaître  qu’ils ne sont pas à l’origine de cette initiative.  La belle statue est un cadeau de la ville espagnole de Tolède à la cité qui vit naître le grand homme.

Jadis, sur cette place, s’élevait une résidence princière (Prinsenhof).  Dans ce palais, le 24 février 1500, il eut une fête.  Au milieu de la nuit, Jeanne de Castille, enceinte, pressée par une envie soudaine, se rendit aux toilettes.  Ainsi naquit le grand Charles-Quint.




Prinsenhof



 
Il fut très fier de sa ville natale.  Personne n’a oublié sa  phrase célèbre  :
« Je mettrais Paris dans mon Gand ».

Charles-Quint peut bien dire qu’il est né sous une bonne étoile.  Seulement celle-ci avait oublié de lui donner la beauté.  On ne peut pas tout avoir.  Il faut l’avouer, Charles n’était pas beau.

Du côté des Habsbourg, il n’avait pas simplement hérité des clés du trône de l’empire mais avait aussi les traits de son grand-père Maximilien.  La plupart des portraits connus de Charles ont été retouchés.  Ce genre de peintures ne reflètent que rarement la vérité. 


Maximilien
Charles-Quint

En réalité, l’empereur était de taille très moyenne.  Il possédait un nez aquilin un peu de travers et un menton viril.  Ce menton était, hélas, assez proéminent et pas vraiment à niveau. Ce qui l’empêchait de joindre les dents.  De ce fait, sa bouche restait constamment entrouverte.  La barbe qu’il portait, dissimulait un peu cette imperfection physique.
Sa dentition était largement ruinée.  Les dents fort peu nombreuses étaient cariées.  Son haleine n’était pas spécialement parfumée d’essence de rose.  L’odeur qu’elle exhalait, il la combattait en mangeant du sucre.  Ce qui, on s’en doute, ne devait pas faire vraiment  plaisir à ses dents. 


Malgré cela, il devait être une force de la nature, pensez-vous ?  Il faut décevoir le lecteur.  Il n’avait pas une bonne santé.  Avant son mariage, il fut épileptique.  A partir de trente ans, il fut victime de nombreuses attaques de goutte.  Il était régulièrement dépressif.  Il devint diabétique et  fut finalement, à 58 ans, vaincu par la malaria.

Alors, il fut peut-être un grand penseur, me direz-vous ?  La réponse est une nouvelle fois : non. Les livres ne l’intéressaient pas.   Et malgré certaines citations, il ne possédait aucuns dons pour les langues.  Il parlait français, un tout petit peu de flamand, un peu de latin et pour faire illusion, quelques bribes d’autres langues.    Mais tout cela ne le gênait pas.  Ce n’était que de la bagatelle pour lui.

Par contre, il possédait une incroyable volonté et savait pertinemment bien que le pouvoir était à lui et à lui seul.  Ses victoires sur les champs de bataille, lui offraient l’honneur et la renommée.  A cette époque, ces deux qualités, faisaient d’un prince, un important seigneur.  Ajoutons encore que Charles était un grand travailleur et un très fervent catholique. 

S’il avait un bon ou un mauvais caractère ?  C’est à voir.  Il existe de nombreux récits relatant ses escapades parmi le bon peuple. Ces histoires populaires décrivent sa sagesse et son grand cœur.

Mais aux yeux des Gantois, il en va tout autrement. Si le lecteur lit cette histoire, oserait-il encore penser que Charles-Quint avait du coeur ?

Les Gantois sont encore de nos jours appelés : Stroppendragers (porteurs de cravates) ou parfois « petites cravates ».  Cette appellation conduit, naturellement, au bon Charles.

L’empereur Charles-Quint et les Gantois, c’est une histoire vieille de plus de 470 ans qui n’est pas tout à fait terminée.

L’empereur avait fait de sa tante Marguerite d’Autriche ( on est très famille chez les Habsbourg) régente des Pays-Bas.  Lorsqu’en 1539, pour financer une nouvelle guerre, Charles eut besoin d’argent, il s’adressa aux Gantois.  Ceux-ci refusèrent de payer cet impôt supplémentaire.  Leur prétexte n’étant pas valable aux yeux de l’empereur, il vint en personne punir les récalcitrants.  Le moins que l’on puisse dire c’est que tendre, il ne l’a pas été.  D’abord, il fit démolir le vénérable monastère Saint-Bavon qu’il remplaça par une méchante forteresse espagnole.  Ensuite, il limogea tout le conseil de la ville et se réserva la nomination des nouveaux échevins.  Puis, les métiers perdirent tous leurs droits.  Il fit arrêter la construction du nouvel hôtel de ville.  Gand dut payer en plus de l’impôt de guerre, une très forte amende.  Mais ce ne fut pas tout, outre les nombreuses arrestations et exécutions, les habitants durent, en chemise de nuit, pieds nus, une corde autour du cou, défiler en procession dans toute la ville.  Les « cravatés » partirent de la Sint-Baafsplein pour se rendre à la Prinsenhofplein (là où se trouve la statue) demander le pardon de Charles. 


                                                                          

De nos jours, les Gantois se souviennent encore de cette humiliation.

Chaque année, pendant les fêtes de la cité, la guilde des «cravatés » organise un cortège « stropkesstoet ».  Dans la dignité, comme leurs ancêtres, ils traversent la ville en chemise de nuit, pieds nus, une corde autour du cou.
 







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