Imaginons ensemble, une pièce sombre, voûtée, sans décoration, où un grand album en forme de missel relié de velours rouge, à ferrures antiques, repose, solitaire, sur un lutrin éclairé par un unique flambeau.

Rêvons ensemble, que ce grand album soit un recueil d’illustrations. Dessins de villes, d’instantanés de vie, où en regard de chaque illustration, écrit de la main des hommes, des récits vrais et moins vrais. Livre précieux, que l’on Feuillette, avec les yeux émerveillés, d’un enfant d’autrefois devant de belles images.

Au hasard, nous tournerons ses pages. Nous arrêtant seulement devant une illustration, selon ses couleurs, nos envies et au gré du vent.

Si le lecteur, bienveillant ( et nous le savons bienveillant), possède une âme quelque peu d’artiste, il comprendra. Des descentes dans le temps à un endroit, puis des remontées dans d’autres parties de ce temps, en passant par des lignes droites, sans oublier les courbes et les doubles boucles de ce même temps - Pour l’espace, pareil - Voilà ce qui attend notre bienveillant lecteur. Lequel, rien ne l’empêche de donner son très estimable avis. Nous le remercions d’avance et lui souhaitons d’agréables voyages.

mardi 8 novembre 2011

Et si l'on racontait Bruges?

Bruges


Le pays flamand peut s’enorgueillir de tant de jolies villes.  Situées  pas très loin de la France, elles offrent aux amateurs sensibles des bouquets de senteurs et des tableaux hauts en couleurs. Chacune d’entre-elles est riche en beautés et en histoires de toutes sortes. Souvent leur histoire se confond avec celle de la France.  Les Français n’y seront pas trop dépaysés.  Ils reconnaîtront bien des visages familiers.  Philippe le Bel, les ducs de Bourgogne, Louis XI, Louis XIV, Chateaubriand, Victor Hugo, et combien d’autres encore y ont laissé la trace de leur pas, de leur geste et de leur parole.  Il suffit de les évoquer pour les faire revenir. 

Allons à leur rencontre et commençons par Bruges.

Bruges
Pas très loin des côtes, au milieu des marais et des bois de Flandre, autour d’un pont de bois jeté sur une rivière autrefois navigable, la Reye, un village sans nom s’éleva un jour. Le pont (brug) lui donna son nom.  Bruges était née.

Au Ve siècle, les Huns envahirent la région.  Bruges semble avoir été épargnée.  De vieilles annales racontent comment la cité flamande accueillit les réfugiés fuyants devant le redoutable Attila.  Il existe nombre de traditions locales racontant le passage des Huns.  Une de ces traditions dit qu’ils dressèrent leur camp sur une immense lande à l’ouest de la ville.  Le lieu aurait conservé le nom d’Attila (Tilleghem).  Là, s’éleva par la suite un  château.

Attila
Saint-Amand s’arrêta à Bruges.  Saint-Eloi  y construisit une chapelle. Et Saint Boniface les suivit.

C’est Baudouin Ier, dit bras-de-fer, qui introduit Bruges dans la grande histoire.  Pour tenir à distance les turbulents Vikings, au IXe siècle, il fait construire une forteresse.  Grâce à cette construction, la ville devient, pour quelques siècles, la résidence des comtes de Flandre.

Proche de la mer du Nord, Bruges se lance tout entière, dès le 10e siècle, dans le commerce maritime.  Des comptoirs commerciaux s’établissent au nord et au sud de la forteresse.  Pour la première fois, en 960, les marchands organisent une foire annuelle.  Désormais, rien ne semble plus devoir entraver le développement et la prospérité de la cité.  Avec la conquête de l’Angleterre par les Normands, ses relations avec ce pays se multiplient.  Mathilde, l’épouse de Guillaume le conquérant, nouveau roi d’Angleterre, est la fille du comte de Flandre, cela aide dans les affaires.  Prospérant, les marchands de Bruges forment une hanse à Londres.  Société commerciale à laquelle plus tard seize autres villes s’associent, les Brugeois restant majoritaires dans l’affaire. 

Les années passent et le trafic commercial se fait de plus en plus dense.  Grâce à son essor, en 1127, Bruges possède maintenant, une charte, un tribunal, des échevins et des remparts.  Signe de puissance, la ville continue à s’étendre, en 1300, on agrandit les remparts. 

Le monde se presse là où l’économie et l’industrie prospèrent et Bruges compte bientôt près de 40.000 habitants.  A cette époque, elle devient l’une des villes les plus peuplées et les plus riches d’Europe.  Le pouvoir, cependant appartient aux marchands.  Ceux-ci se regroupent en associations et occupent héréditairement les fonctions d’échevins et de magistrats.  De l’autre côté de cette barrière sociale se retrouvent les artisans.  Ils sont pauvres mais peuvent compter sur l’appui du comte.  Appui cependant pas assez efficace, le comte est absorbé la plupart du temps par des conflits avec la France.  La cité flamande se divisent rapidement en deux camps.  Deux groupes sociaux vont se faire face : d’un côté les patriciens brugeois protégés par le roi de France et de l’autre, le peuple que le comte flamand regroupe sous sa bannière. 
Vers la fin du XIIIe siècle, un conflit entre le comte de Flandre Guy de Dampierre et les bourgeois de Bruges, va conduire à la guerre.  Contre le comte, les bourgeois demandent l’appui du roi de France.  Par réaction, le peuple soutient le comte.  L’alliance de Guy de Dampierre avec le roi d’Angleterre, sert de prétexte à Philippe le Bel, roi de France d’intervenir militairement en Flandre.  Il envahit le pays.  Ses troupes battent celles de Guy de Dampierre.  L’ancien compagnon de Saint-Louis est fait prisonnier.  Dès lors, l’armée de Philippe occupe la Flandre.
Victorieux, le roi de France visite ses conquêtes en 1301.  A Bruges, son épouse, Jeanne de Navarre, apercevant le luxe des vêtements portés par les habitantes de l’endroit, ne peut s’empêcher de dire, cette phrase restée célèbre : « Je me croyais seule reine ici, mais j’en vois mille autres autour de moi. »
Guy de Dampierre
L’attitude hautaine et les exactions des conquérants agacent rapidement les Flamands.  Philippe le Bel est à peine parti depuis un mois que des émeutes éclatent à Bruges.  Jacques de Châtillon, gouverneur de la Flandre, se présente devant la cité rebelle avec cinq cents lances.  Devant son nez, les portes de la cité se ferment.  Profitant de l’occasion, certains envoient dans un monde que l’on prétend meilleur, quelques bourgeois partisans des Français.  Pour les punir, Châtillon fait raser les remparts et commence la construction d’une nouvelle forteresse.  Voulant réprimer les mécontents, il a réuni dans la ville des troupes nombreuses.  A ce moment, les voix enflammées de Pieter De Coninck, doyen des tisserands, et de Jan Breydel, doyen des bouchers, se font entendre.  Le 18 mai 1302, à leur appel, le peuple se soulève.  Alors commence le massacre de la garnison royale et de ses alliés.  On appelle ce carnage, les mâtines brugeoises.  Furieux de la tournure des événements à Bruges, Philippe veut venger  l’affront.  Il envoie une nouvelle fois son armée en Flandre.  Le choc a lieu près de la ville de Courtrai.  Ce jour-là, la « piétaille » flamande écrase la chevalerie française.  Les nombreux éperons ramassés sur le champs de bataille donnèrent un nom à cette victoire : la bataille des éperons d’or (11 juillet 1302).
Grâce à la défaite de l’armée de Philippe le Bel, l’oligarchie des marchands prend définitivement fin à Bruges.  Les guildes et les artisans ont enfin leur mot à dire dans la gestion de la cité.

Philippe le Bel

Le 14e siècle est un âge d’or pour Bruges.

La ville devient le centre du commerce international.  Dix-sept pays y sont représentés.  Vingt ambassadeurs y résident.  La puissante ligue hanséatique y a installé l’un de ses quatre principaux comptoirs.  La ville sert d’entrepôt aux négociants Anglais et Danois.  D’autres négociants y amènent par terre et par eau du sud de la France et de l’Espagne leurs marchandises.  Venise et les Lombards lui envoient les produits des Indes et de l’Italie, et achètent ceux de l’Allemagne et de la mer Baltique.  On décharge dans son port en même temps les galéasses vénitiennes, génoises et celles de Constantinople.  Les magasins explosent sous le poids des laines anglaises, des toiles flamandes et des soieries de Persanes. 

La ville est riche, très riche.  En 1396, un marchand  se rend caution de l’énorme rançon de Jean sans Peur.  Le duc de Bourgogne a été capturé par les Turcs à la désastreuse bataille de Nicopolis.  La somme garantie s’élève à 200.000 ducats. 


Philippe le Bon
Le 15e siècle, est, toutefois, celui de sa plus grande prospérité, économique, politique et artistique. Entrée dans l’héritage bourguignon, Bruges vit ses plus brillantes heures.  Les ducs de Bourgogne transforment la cité en un brillant jardin de plaisance.  Ils tiennent dans la cité marchande, une cour magnifique.  L’endroit devient le rendez-vous de tous les grands seigneurs de l’époque.  Nous dirions aujourd’hui que Bruges est l’endroit où il faut être vu, le rendez-vous de la « Jet-Set » du monde entier.

Les fêtes données par les ducs, éclipsent en magnificence tout ce qu’on avait vu jusqu’alors.  Les plus extraordinaires sont celles données en 1429, pour le mariage de Philippe le Bon avec Isabelle de Portugal, pour l’institution de l’ordre célèbre de la Toison d’or, et en 1468, à l’occasion des noces de Charles le téméraire et de Marguerite d’York.

C’est à ce moment que, grâce aux peintres Jean et Hubert van Eyck, Bruges devient le berceau de la célèbre école flamande.  L’architecture, la musique et la littérature livrent aussi des chefs-d’œuvre d’une qualité jusqu’alors inégalée. 


Ecole flamande
Cependant, la chute ne se fait pas attendre.  Le luxe ruineux, les guerres continuelles, l’effondrement de la Bourgogne, les révoltes et l’ensablement du Zwin, ce bras de mer qui servait d’artère vitale à la ville, ont bientôt raison de la belle cité.  Sa décadence commence.  Une grande partie des marchands étrangers émigrent pour se fixer à Anvers, nouvelle capitale économique.  Défection qui porte un coup mortel à la cité.  C’est le moment où va éclater la longue et fatale guerre des Pays-Bas, d’abord contre l’Espagne et ensuite contre la Hollande.  Cette effroyable lutte ruine, pour des siècles, le pays tout entier.  Malgré cela, la ville connaît encore quelques belles heures, vivant sur sa célébrité et ses richesses passées, mais son époque de gloire est terminée.  En 1604, le Zwin est complètement fermé à la navigation commerciale.

Georges Rodenbach
Depuis, la vieille cité de Flandre, ne fit plus que languir et décliner.  Bruges s’endormit tout doucement et sombra peu à peu dans l’oubli.  En 1892, l’écrivain Georges Rodenbach réveilla cette noble dame. Il attira l’attention du monde sur elle en publiant son roman “Bruges la morte”.  Tirée de sommeil, la cité connut alors une nouvelle vocation.


Aujourd’hui, riche de son ancienne grandeur et de son opulence d’autrefois, Bruges est devenue l’une des villes les plus visitées au monde.  La largeur de ses rues, la décoration de ses édifices, son histoire attestent encore le souvenir du temps où elle était reine. Emerveillé par le décor, un citoyen américain, qui visitait le lieu, demanda un jour, quelle était l’heure et les jours de fermeture de la ville.  La méprise de ce brave homme était tout à fait excusable.  Car, entre le château de la Belle au bois dormant et Bruges, il n’y a que la distance d’un rêve. 




Bruges, un rêve
                                                         

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