Imaginons ensemble, une pièce sombre, voûtée, sans décoration, où un grand album en forme de missel relié de velours rouge, à ferrures antiques, repose, solitaire, sur un lutrin éclairé par un unique flambeau.

Rêvons ensemble, que ce grand album soit un recueil d’illustrations. Dessins de villes, d’instantanés de vie, où en regard de chaque illustration, écrit de la main des hommes, des récits vrais et moins vrais. Livre précieux, que l’on Feuillette, avec les yeux émerveillés, d’un enfant d’autrefois devant de belles images.

Au hasard, nous tournerons ses pages. Nous arrêtant seulement devant une illustration, selon ses couleurs, nos envies et au gré du vent.

Si le lecteur, bienveillant ( et nous le savons bienveillant), possède une âme quelque peu d’artiste, il comprendra. Des descentes dans le temps à un endroit, puis des remontées dans d’autres parties de ce temps, en passant par des lignes droites, sans oublier les courbes et les doubles boucles de ce même temps - Pour l’espace, pareil - Voilà ce qui attend notre bienveillant lecteur. Lequel, rien ne l’empêche de donner son très estimable avis. Nous le remercions d’avance et lui souhaitons d’agréables voyages.

mercredi 25 avril 2012

L'assassinat de Guillaume le Taciturne

Guillaume de Nassau, prince d’Orange, premier Stathouder de Hollande et fondateur de la puissante république des Provinces-Unies, était né en 1533 au château de Dillembourg, dans le Nassau.  Fils du comte de Nassau, et de la comtesse de Stolberg, Guillaume fut envoyé comme page à la cour de Charles-Quint.  Ce monarque apprécia  d’emblée la haute intelligence de l’enfant et sa discrétion impénétrable à laquelle il dut plus tard son surnom du Taciturne.  Charles-Quint ne craignait pas de s’entretenir en présence du jeune garçon, des affaires les plus importantes et les plus secrètes de l’empire.  A douze ans, Guillaume hérita de son cousin germain René, prince d’Orange, d’une formidable fortune.  Cet héritage fabuleux lui valut d’être longtemps appelé le Riche.  Surnom toutefois infiniment moins glorieux que le premier.  Puis Charles-Quint abdiqua.  Son successeur et fils, Philippe II, nomma Guillaume gouverneur de la Hollande, de Zélande, d’Utrecht et généralissime de ses troupes.  Philippe II, élevé en Espagne et préférant ce pays, abandonna les dix-sept provinces à sa demi-sœur, Marguerite de Parme et au cardinal Granvelle, son âme damnée. Très vite, un conflit latent entre le roi absent et la noblesse des Pays-Bas s’ouvrit. 

L’époque était à la mutation.  Une crise morale et économique sans précédent s’abattit sur toute l’Europe.  Des Pays-Bas montait un mécontentement capable d’aller jusqu’aux troubles.  Guillaume et un petit groupe d’amis, dont les plus illustres ne tarderont pas à l’abandonner, avaient décidé de mettre en garde Philippe II, contre les risques de cette situation fort menaçante.  Mal leur en prit, le monarque espagnol, borné, influencé par Granvelle, crut à une opposition à sa politique.

Le 31 décembre 1564, exaspéré par l’incompréhension et l’intransigeance du souverain, par l’inaction des gouvernants, Guillaume laissa échapper sa colère dans un discours de sept heures.   

Dans son exhortation, conscient de la valeur de son combat, il décrivit les grands thèmes de son action : Liberté, Tolérance et Bonheur du peuple.  Depuis longtemps, Il portait en lui ces valeurs morales, il les protégeait et entendait les sauvegarder au prix même de sa vie.  Le roi d’Espagne ressentit cette profession de foi comme une véritable déclaration de guerre.

Elle eut donc lieu, elle commença par le duc d’Albe, vite remplacé par d’autres.

Maintenant c’est au tour du fils de Marguerite de Parme, Alexandre Farnèse, de prendre le relais.  Ne pouvant abattre la révolte, malgré la terreur et le sang, écoutant les conseils de Granvelle, le roi d’Espagne a décidé de mettre à prix la tête de Guillaume.  Nul n’ignore qu’il est maintenant  entouré de tels dangers qu’il ne saurait y échapper longtemps.  La promesse du gain multiplie les conspirations.  Pour le moment, les attentats ont échoué.  Ordonez, Got et Hansen ont raté leur cible.  Et puis, un jour, dirigé depuis Tournai par Farnèse, le chemin de Balthasar Gérard croise celui de Guillaume.  

Guillaume

C’est en mai 1584, que ce jeune Franc-Comtois de vingt-sept ans et de petite taille arrive à Delft sous un nom d’emprunt, François Guyon.  Il remet une lettre de sollicitation pour Guillaume.  Un peu plus tard, un proche du prince, Pierre Loyseleur, le reçoit.  Balthazar lui raconte une histoire inventée et préparée à l’avance.  Il a perdu son père victime de son dévouement pour la nouvelle religion.  Dans l’hôtel de Mansfeld, à Luxembourg, il a dérobé à l’un de ses cousins des cachets officiels.  Démasqué par un curé, il a donné un coup de poignard pour se défendre et s’est enfui.  Balthazar veut, dit-il entrer au service de Guillaume.  Le récit préparé par Farnèse semble assez convaincant pour que le Franc-comtois soit engagé au service du Taciturne.  On l’emploiera comme coursier.  Il portera les lettres.  C’est ainsi, de la façon la plus naturelle du monde, aux alentours du 23 juin, que le courrier François Guyon rapporte à Delft, une lettre de la plus haute importance.  Le duc d’Alençon, frère du roi de France Henri III, à qui Guillaume et les Etats avaient proposé la couronne à la place de Philippe, est décédé.  Ce message est d’une telle gravité, que le prince sans attendre son lever, en prend connaissance dans son lit.  Il fait venir le messager pour l’interroger sur les derniers instants du duc.  Occasion privilégiée, pour l’assassin.  Mais l’homme, pris au dépourvu, n’a pas d’armes sur lui, pas même un couteau.  Il se maudit de sa négligence.  L’entretien terminé, il se retire en colère contre lui-même et jure d’être prêt la prochaine fois.

Pendant plusieurs jours, il attendra la dépêche lourde de conséquences que l’on prépare en réponse.  Assidu, un livre pieux sous le bras, il assiste aux prêches.  Pour passer le temps et pour probablement étudier les lieux, il rôde aux abords du cloître Ste-Agathe, devenu le Prinsenhof depuis que Guillaume en a fait sa résidence.  Il se rend familier au personnel de l’hôtel, emprunte une Bible, bavarde avec l’un et l’autre.  L’on est au vif de l’été, les jours sont longs et les portes ne sont pas closes.

Le dimanche 8 juillet, Balthazar Gérard reçoit enfin la dépêche qu’il a charge de porter et, à sa demande, reçoit dix à douze écus.
Le lundi 9 juillet, prévoyant cette fois-ci, il se pourvoit en armes.  Il achète successivement trois pistolets à des soldats et à un sergent de la garde personnelle du prince.  Un courrier ne doit-il pas être armé ? 

Prudent, il essaie ses pistolets. 

Le mardi 10 juillet, Guillaume, accompagné de la princesse Louise, de sa sœur, de trois de ses filles et du bourgmestre de Leeuwarden, descend l’escalier qui conduit à la petite salle à manger privée, au rez-de-chaussée.  Il aperçoit au bas des marches son courrier.  Que veut-il ? Un passeport - chose normale - il en aura un.  La princesse s’inquiète tout de même un peu, fait observer que le personnage n’a pas « bonne mine » et surtout s’est exprimé d’une voix mal assurée.  Louise, prompte à s’alarmer depuis l’assassinat de son père, l’amiral de Coligny, a le pressentiment d’un nouveau malheur.  Cet homme lui fait une impression sinistre.  En passant à table le prince, souriant, rassure sa femme.  Pas apaisée du tout, elle essaie, pendant le repas, de faire partager ses soupçons à son mari.  Peine perdue.

Pendant ce temps, l’homme se promène derrière l’hôtel, près des écuries. 
A l’instant où les convives se lèvent, il est environ deux heures, l’homme se tient derrière un pilier de la galerie à la sortie de la salle.  Ses pistolets au côté gauche, cachés sous le pan d’un manteau jeté sur une épaule.  Sa main droite tient un papier comme s’il s’apprêtait à le faire signer.  Le prince paraît mais ne s’attarde pas.  Il a déjà un pied sur la première marche de l’escalier. 

Tout va très vite, le meurtrier s’avance, sort l’un de ses pistolets et fait feu sur Guillaume. 

La balle traverse la poitrine.  Le prince chancelle.  Son écuyer, Jacques van Malderen, se précipite pour le soutenir, l’aide à s’asseoir sur les marches.  Des lèvres du moribond, s’échappe un murmure : «  Mon Dieu aie pitié de mon âme et de ce pauvre peuple ».  Sa sœur, penchée sur lui, avec angoisse, l’interroge en allemand : « Recommande-t-il son âme à Jésus-Christ ? ».  Il parvient encore à articuler un faible « Ja » et sombre dans le coma.  A peine a-t-on le temps de le porter dans la salle où il vient de prendre son dernier repas, qu’il rend l’âme.


Son assassin arrêté, jugé et condamné à mort pour régicide subira sa peine avec la patience du fanatique.  Sa famille, récompensée par Philippe II, sera anoblie.  Plus tard, un roi de France supprimera ce titre de noblesse infâme. 

  
L'enterrement de Guillaume à Delft

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