Imaginons ensemble, une pièce sombre, voûtée, sans décoration, où un grand album en forme de missel relié de velours rouge, à ferrures antiques, repose, solitaire, sur un lutrin éclairé par un unique flambeau.

Rêvons ensemble, que ce grand album soit un recueil d’illustrations. Dessins de villes, d’instantanés de vie, où en regard de chaque illustration, écrit de la main des hommes, des récits vrais et moins vrais. Livre précieux, que l’on Feuillette, avec les yeux émerveillés, d’un enfant d’autrefois devant de belles images.

Au hasard, nous tournerons ses pages. Nous arrêtant seulement devant une illustration, selon ses couleurs, nos envies et au gré du vent.

Si le lecteur, bienveillant ( et nous le savons bienveillant), possède une âme quelque peu d’artiste, il comprendra. Des descentes dans le temps à un endroit, puis des remontées dans d’autres parties de ce temps, en passant par des lignes droites, sans oublier les courbes et les doubles boucles de ce même temps - Pour l’espace, pareil - Voilà ce qui attend notre bienveillant lecteur. Lequel, rien ne l’empêche de donner son très estimable avis. Nous le remercions d’avance et lui souhaitons d’agréables voyages.

mardi 29 novembre 2011

L'Alcazar de Tolède assiégé

Tolède

Une histoire dramatique que celle qui va suivre.  Elle se passe en 1936, en Espagne dans la très belle ville historique de Tolède.  Elle ne se termine ni bien ni mal.  Seuls sont vaincus les morts, peu importe leur côté.  Ils ne sont ni bons ni mauvais, ils sont simplement victimes de leur folie.  Quant aux vivants, ils sont en sursis, pour eux la guerre ne fait que commencer…

Depuis le 18 juillet, on se battait dans Tolède.  Dès que la nouvelle de l’insurrection du général Franco y était parvenue, le colonel Moscardo et ses hommes avaient pris les armes contre la république.  Les forces fidèles au gouvernement légal et les milices populaires entendaient bien résister aux militaires rebelles.

Siège de l’école des cadets, d’un accès difficile, d’étroites rues y conduisent, l’Alcazar est une masse qui domine le Tage.  Cette solide construction parut au colonel Moscardo le lieu indiqué pour diriger la lutte et soustraire ses compatriotes à la fureur des « Rouges ».

Construite au XVIe siècle dans la partie la plus haute de la ville, de forme rectangulaire, l’Alcazar était une forteresse que Charles Quint convertit en résidence royale.  En 1810, l’Alcazar fut incendié par les troupes napoléoniennes.  Reconstruit, il fut utilisé comme maison des sœurs de la Charité, puis comme académie militaire.  

Le 22 juillet, devançant ses ennemis, Moscardo s’enferme dans la forteresse.  Il emmène avec lui, soldats mutinés, notables et les familles des gardes civils.  Le temps pressant, il ne peut emmener son épouse, Doña Maria, réfugiée chez un ami, et deux de ses fils, Luis, dix-sept ans et Carmelo, quatorze ans.

A près de soixante ans, le colonel Moscardo garde encore toute sa verdeur.  Militaire dans l’âme, nationaliste et fervent catholique, il n’admet ni défaillance, ni manquement à la discipline.  C’est un dur.

Sa première préoccupation est de mettre en défense l’Alcazar.  Quelques jours plus tôt, par un hasard providentiel, il a reçu l’ordre du gouvernement de réunir et d’expédier à Madrid, toutes les armes, munitions et médicaments en dépôt à Tolède.  Moscardo, s’est bien acquitté de la première partie de la mission, mais au lieu d’envoyer le tout à Madrid, trompant la république, il effectue le transfert vers l’Alcazar.

Il a de cette manière, emmagasiné, un million trois cents mille cartouches, mille deux cents fusils, trente-huit mitrailleuses et un mortier.  Du blé et des conserves fournissent le ravitaillement provisoire.

650 gardes civils, 200 cadets et élèves de l’école de gymnastique, 160 officiers et soldats, 85 phalangistes, 2 médecins et un chirurgien militaire.  600 femmes et enfants, 200 notables, 3 religieuses infirmières et leur mère supérieure, en tout quelque 2000 personnes forment la garnison de la forteresse.

Dans cette citadelle, la place ne manque pas.  L’Alcazar est un véritable dédale de chambres, de salles hautes, de galeries et de souterrains.  Le tout protégé par une  haute muraille épaisse de plus de trois mètres.  Deux cents dix chevaux et trente mulets occupent les écuries.  Leur nombre va considérablement diminuer,  Les animaux serviront de viande aux assiégés.  A la fin du siège, il n’en restera que six.  Faute de sel, on saupoudre les quartiers de viande de salpêtre, gratté sur les murs.  Restées coquettes malgré les événements, les femmes profitent du salpêtre pour se poudrer le visage.

La confiance et la bonne humeur marquent les visages des rebelles.  L’électricité coupée, on s’éclaire de mèches trempées dans la graisse des animaux abattus.

L'ancien Alcazar
                                                        

Seuls contacts vers l’extérieur, une radio branchée sur les stations franquistes de Milan et de Lisbonne et le téléphone que les républicains ont épargné.  Cette ligne sert  de moyen de communication entre les adversaires.

Le 23 juillet, Moscardo tient conseil lorsque le téléphone sonne.  Le républicain, Candido Cabello, chef de la milice appelle :

-       Colonel Moscardo, êtes-vous décidé à abandonner l’Alcazar ?
-       Je suis décidé à y demeurer.
-       Je vous laisse dix minutes pour changer d’avis. Passé ce délai, nous agirons.  Mais auparavant, je cède la place à un quelqu’un d’autre.  Restez à l’écoute.

Dans l’écouteur, une  voix jeune et vibrante, Moscardo reconnaît son fils Luis.

-       Papa, les miliciens m’ont arrêté.  Ils disent qu’il me fusilleront si tu refuses de les écouter.  Je sais d’avance ta réponse, mais je veux l’entendre de toi-même.  Parle, j’obéirai.  Que dois-je faire ?

La main crispée sur le récepteur, d’un ton calme, celui d’un chef, Moscardo lui répond :

-       Recommande ton âme à Dieu et prie-le de te donner le courage nécessaire.  Que ton dernier cri soit : « Vive l’Espagne ! Vive le Christ-Roi ! »
-       Ne crains rien, tu n’auras pas à rougir de moi.  Je t’embrasse bien fort, papa !
-       Je t’embrasse bien fort, mon fils !

Un silence, puis Moscardo poursuit :

-       Candido Cabello, inutile d’attendre les dix minutes.  Vous pouvez raccrocher.

Colonel Moscardo

Un grand signe de croix avant de reposer le combiné et le colonel s’éloigne de l’appareil.  Il revient à sa place, se rassied devant ses officiers et commande :

-       Reprenons, Messieurs !

Le 25 juillet, Luis tombait, pour l’Espagne et le Christ-Roi, sous les balles du peloton d’exécution.   Certains historiens ont mis en doute cette histoire.

Le siège de l’Alcazar de Tolède va, à présent, commencer.

L’artillerie républicaine tire sur l’Alcazar.  Chaque jours, les brèches s’ouvrent de plus en plus largement.  Malgré ses tours démantelées, ses façades criblées de projectiles, l’Alcazar résiste.  Parfois, une brève accalmie.  Le téléphone sonne et toujours l’inutile question et encore le même dialogue stérile entre le général républicain Riquelme et le franquiste Moscardo.

- Colonel, ne m’obligez pas à détruire notre noble Alcazar !
- Général, ne me demandez pas de le déshonorer !
Général Riquelme

Dans le patio central, témoin muet de cette lutte fratricide, la statue de Charles-Quint demeure encore debout.

Le 29 juillet, Radio-Madrid annonce la reddition de l’Alcazar.  Nouvelle aussitôt démentie par les radios franquistes. 

Les bombardements s’intensifient, cinq cents obus par jour tombent sur la forteresse.  Au début, on enterre les victimes dans les terrains de l’esplanade.  Mais lorsque les tirs deviennent plus intenses, plus meurtriers, on doit utiliser les anciennes cabines de bains du sous-sol.  On y mure le mort debout, appuyé contre la paroi intérieure.  Sans prêtre, les assiégés se réunissent dans la chapelle pour prier et invoquer la Vierge.  Ces prières se terminent toujours par : «  Si je meurs, je meurs, mais ce que je crois ne meurt pas ! ».

                                                  

Durant ces terribles mois d’août et de septembre, les actes de courage se multiplient des deux côtés. 

                                                       

Pour les républicains, les nouvelles du front deviennent alarmantes.  Dans tout le pays, les armées franquistes avancent.  La résistance de l’Alcazar incite le général Franco à reporter son offensive contre Madrid.  Ses troupes doivent prioritairement délivrer les assiégés, devenus des symboles.  Cette décision sauve Madrid mais va prolonger la guerre et ses victimes.

Déjà, des avions larguent du ravitaillement et des proclamations sur l’Alcazar.

« Vainqueurs sur tous les fronts, nous volons à la victoire ;  Tenez à tout prix ;  Vive l’Espagne ! – Général Franco ».

Devant la situation, les républicains essaient d’obtenir, sinon la reddition complète de l’Alcazar, du moins une évacuation partielle.  Le 9 septembre, ils proposent à Moscardo de recevoir un parlementaire.  Ils ont choisi Rojo, un de leurs officiers, ancien adjudant de Moscardo à l’école de gymnastique.

Le 10 septembre, Rojo se présente à l’entrée de l’esplanade.  Un phalangiste lui bande les yeux et le conduit à Moscardo.  Là, le bandeau ôté, il s’assied et la conversation commence.  Dramatique rencontre de deux hommes braves, jadis amis que les divisions de l’Espagne ont séparé.  Il reste, malgré tout, chez les deux officiers, une estime réciproque.  

Général Rojo

Comme d’habitude, Moscardo se montre irréductible. – l’Alcazar ne se rendra jamais - est sa réponse.
Cependant il demande une seule chose à son ancien ami : un prêtre.

Les républicains lui envoient donc un prêtre.  Le vénérable Don Enrique Vasquez Camarasa, chanoine à la cathédrale de Madrid se présente le lendemain à l’Alcazar.

En civil, une valise, contenant les objets du culte, dans une main et dans l’autre un grand crucifix, il pénètre dans la forteresse.  Moscardo s’incline respectueusement à son approche.  Don Enrique ne peut rester que trois heures.  Sans perdre de temps, la messe commence.  Le délai trop court ne permet pas au prêtre d’entendre chaque fidèle en confession.  Le sacrement sera général et collectif.  Avant de partir, Don Enrique se rend auprès des blessés et bénit les terribles portes murées des cabines de bains.

A la porte de la forteresse, Don Enrique renouvelle les propositions de Rojo.  Moscardo lui répond : « Mon père, je commande ici mes soldats, non des femmes et des mères.  C’est donc à elles seules qu’appartient la décision.  Interrogez-les. »

Après s’être adressé aux femmes qui l’ont accompagné, le prêtre entend cette réponse : « Nous n’abandonnerons jamais nos maris.  Nous garderons nos enfants près de leurs pères.  S’il le faut, nous lutterons et mourront avec eux.  Nous n’abandonnerons l’Alcazar qu’après la victoire ! »

Les jours suivants sont des journées d’espoirs et d’angoisses pour les assiégés.  Les troupes franquistes s’approchent de Tolède.  La délivrance ne peut tarder.

Mais le 16 septembre, les rebelles enfermés dans l’Alcazar, entendent un grondement sous leurs pieds. Bruits sourds de perforatrices creusant le sol.  Des pionniers venus des Asturies, préparent une mine pour faire sauter la citadelle.

Pendant quarante-huit heures, les assiégés entendent l’angoissant écho.  A tout moment, l’explosion peut avoir lieu.  La peur marque les visages.  Le 18, à 7 heures du matin, c’est l’explosion tant redoutée.  Une détonation formidable secoue l’édifice entier.  Dans un immense nuage de poussière, la grande tour sud-ouest s’écroule.  La dynamite des Asturiens a encore pulvérisé la façade ouest et anéanti ses dépendances.  Par chance, Il n’y a que très peu de perte chez les nationalistes.  Au même moment les républicains attaquent.  Dans l’Alcazar devenu cimetière, de toutes les issues, de tous les éboulis de pierres, de ferraille, les défenseurs ouvrent le feu sur les assaillants - Brève et terrible lutte - devant l’intensité de la résistance, les républicains ne peuvent plus avancer.  Ils doivent reculer.  L’ultime assaut se solde sur un échec.

L'Alcazar après l'explosion
                                                             
A présent, Tolède se trouve sous le feu de l’armée franquiste.  Sans renfort, pour éviter l’encerclement, les républicains évacuent la ville pour assurer, plus au nord la défense de Madrid.

Place Zocodover de nos jours

Le 26 septembre, règne un silence étrange autour de l’Alcazar.  Le lendemain, vers 7 heures du soir, des silhouettes apparaissent sur la place du Zocodover, ce sont les premiers éclaireurs de la colonne franquiste Yagüe.

Le siège de l’Alcazar se termine.

Le lendemain, sur l’esplanade, les combattants de l’Alcazar saluent le général Varela venu les secourir.  Le général Franco viendra à son tour exprimer aux défenseurs la reconnaissance de l’Espagne.  Plus tard, Moscardo fera visiter les lieux au reichführer SS Heinrich Himmler.  En 1948, Franco fera Moscardo, Comte de l’Alcazar.




Franco dans les ruines de l'Alcazar



Himmler visitant les ruines de l'Alcazar
                                                   
Le siège dura 68 jours.  Il eut en tout : 82 morts, 430 blessés,  2 morts naturelles, 3 suicides, quelques disparitions et deux naissances.

La bataille de l’Alcazar ne fut qu’un des nombreux épisodes de la guerre civile espagnole, mais elle a marqué la mémoire des hommes.   Moscardo est décédé en 1956, son corps repose dans la forteresse reconstruite.

De nos jours, l’Alcazar de Tolède accueille la bibliothèque de Castille et le musée de l’armée espagnole.    


Le nouvel Alcazar

3 commentaires:

  1. Il est toujours amusant de voir que les franquistes sont donnés pour des rebelles aux forces légalistes. Cette vision simpliste et tronquée fait silence sur le fait que la deuxième république est issue d'un putsch et s'est bâtie sur autant de purges que celles qu'on a imputées à Franco. Si vous allez en Espagne, vous rencontrerez bien des gens qui voient Franco comme un homme qui a simplement voulu faire cesser les sanglants désordres.

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    1. Monsieur Arpont,
      - "la deuxième république est issue d'un putsch" : fort contestable avant juin 1931, ridicule ensuite (surtout comparativement à l'exercice du pouvoir en Espagne après la fin de la guerre) ;
      - "autant de purges que celles qu'on a imputées à Franco" : je passe sur l'ambiguïté du mot "purges" (parle-t-on de purges "staliniennes ?)), mais le plus simple est de constater la fausseté évidente de ce qu'implique sans doute l'affirmation : des meurtres de masses (ce qui n'empêche pas que des républicains victorieux auraient commis les mêmes -voire pire- crimes que les franquistes, même si peu d'arguments sont concordants avec cette idée) ;
      - "bien des gens qui voient Franco comme un homme qui a simplement voulu faire cesser les sanglants désordres" : c'est probable en effet (même si la proportion sera nettement moindre qu'au Portugal avec Salazar), et donc ? Vous iriez en Russie, vous aurez bien des admirateurs de Staline, jusqu'à la fin des années 60 un rand nombre d'allemands restaient admiratifs d'Hitler (malgré une défaite dans de grandes largeur et qui lui était tout à fait imputable -et je ne mentionne aucun des nombreux crimes du grand homme), et si vous continuez à croire que les affirmations du plus grand nombre valent démonstration : des millions d'américains affirment avoir été enlevés par des extraterrestres pendant que des millions d'autres affirment que les premiers sont des imbéciles. L'opinion (surtout après quelques décennies de la part de gens bien tranquilles, reste une opinion et ne prouve généralement rien de plus que l'universelle bêtise).
      Bien à vous.

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  2. Qu'est-ce qui est contestable dans le fait que la république s'est faite par un putsch ? Sous la pression d'agitateurs, alors qu'ils n'avaient même pas gagné les élections mais n'avaient remporté que 40% des suffrages, Niceto Zamora proclame la République le 14 avril 31. Sans aucune justification légale. C'est un simple putsch. Après juin, quand le putsch a eu lieu, évidemment on a formé une légalité mais cela ne change rien au fait.

    Ensuite vous êtes encore plus amusant. Alors que vous critiquez le fait que je remarque que bien des Espagnols, encore aujourd'hui, pensent que Franco a permis d'éviter le chaos, vous utilisez exactement le même type d'argument en disant qu'on a peu de rapports (ce qui est faux) de crimes commis par les Républicains.
    Je passerais sur votre manipulation quand vous confondez purges et meurtres de masse. Bref, de l'idéologie.

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