Imaginons ensemble, une pièce sombre, voûtée, sans décoration, où un grand album en forme de missel relié de velours rouge, à ferrures antiques, repose, solitaire, sur un lutrin éclairé par un unique flambeau.

Rêvons ensemble, que ce grand album soit un recueil d’illustrations. Dessins de villes, d’instantanés de vie, où en regard de chaque illustration, écrit de la main des hommes, des récits vrais et moins vrais. Livre précieux, que l’on Feuillette, avec les yeux émerveillés, d’un enfant d’autrefois devant de belles images.

Au hasard, nous tournerons ses pages. Nous arrêtant seulement devant une illustration, selon ses couleurs, nos envies et au gré du vent.

Si le lecteur, bienveillant ( et nous le savons bienveillant), possède une âme quelque peu d’artiste, il comprendra. Des descentes dans le temps à un endroit, puis des remontées dans d’autres parties de ce temps, en passant par des lignes droites, sans oublier les courbes et les doubles boucles de ce même temps - Pour l’espace, pareil - Voilà ce qui attend notre bienveillant lecteur. Lequel, rien ne l’empêche de donner son très estimable avis. Nous le remercions d’avance et lui souhaitons d’agréables voyages.

mercredi 23 mai 2012

Un jardin, une fosse et un squelette - 2

Marchand de vins à Paris

Vers onze heures, la fille vint chercher sa mère, on l’avait attendu en vain pour déjeuner.  A midi, elle revint encore rue des Mathurins, sa mère n’était  pas encore rentrée.  Elle renonça à l’attendre.

Le lendemain matin, Robert fut prévenu que sa belle-mère n’avait toujours pas reparu.  Robert était seul à la maison, quand arriva cette nouvelle :
- N’en parlez pas à ma femme, cela l’inquiéterait.  Je lui en parlerai plus tard.

Cette disparition singulière ne semblait pas, du tout, inquiéter Robert.

Deux jours après, un certain Hérolle reçut une lettre mise à la poste à Paris.  Hérolle devait la remettre à la femme de ménage de la veuve Houet, Madame Jusson.  La veuve y annonçait son départ ; un voyage de quelques jours avec une amie et défendait d’en parler à qui que ce fût.
Une seconde lettre, timbrée, cette fois-ci de Saint-Germain-en-Laye, parvint à monsieur Vincent, locataire de l’une des deux maisons que la disparue possédait à Versailles.  Le contenu et la tournure de cette lettre pouvaient inquiéter ; ils laissaient penser que la veuve Houet avait mis fin à ses jours.
On reconnut rapidement et facilement ces deux lettres comme fausses.  La signature, l’écriture, le style et les déclarations ne correspondaient pas à l’absente.  Certainement avec l’intention d’égarer les recherches, quelqu’un, maladroitement, avait contrefait ces lettres.

Ces deux courriers étaient loin d’avoir atteint le but recherché. A présent, l’hypothèse d’un crime commis commençait à voir le jour : mais où et par qui ?  La police envisagea alors une perquisition chez la veuve.  Vigoureusement, Robert s’y opposa.  Pour lui, il était bien évident que sa belle-mère n’était pas morte chez elle - donc pas de descende de police !  Néanmoins, le 1er octobre, cette visite domiciliaire fut faite.  Les agents trouvèrent dans la chambre de la disparue, six billets de 1000 francs et 710 francs en or et en argent.
Le vol n’expliquait donc pas le mobile de la disparition.  La cause en restait toujours mystérieuse.

Faute de mieux, les soupçons de la justice se portèrent naturellement vers les proches et sur le gendre en particulier dont l’attitude l’intriguait.  La police s’intéressa  au passé de Robert.  Celui-ci avait exercé successivement les professions de graveur et de marchand de vins.  Dans l’une comme dans l’autre il avait fait de mauvaises affaires.    Par nécessité, au commencement de 1821, il avait vendu son fonds de marchand de vins.  Les recherches révélèrent encore, qu’il possédait une maison dans l’Yonne à Dannemoine ; celle-ci entièrement grevée d’hypothèques.  Enfin, au moment de la disparition de sa belle-mère, il était sans travail et n’avait d’autres ressources qu’une rente de 168 francs appartenant à sa femme. 

Après la disparition de la veuve Houet, que l’on considérait seulement comme absente, Robert demanda et obtint sur les biens de sa belle-mère une pension alimentaire de 1.500 francs.  Sa situation financière s’améliorait grâce au départ vraiment particulier de celle-ci.

Pour les enquêteurs, cette amélioration indiquait un intérêt à commettre un crime.  Déjà, la justice avait saisi quelques indices, toutefois assez maigres.  A l’heure où la veuve Houet se dirigeait vers la rue de la Harpe, Robert avait été vu à diverses reprises, sous la porte cochère de sa maison ; il jetait les yeux vers le haut de la rue de la Harpe, comme s’il attendait quelqu’un.  Autre indice, après la disparition, pourquoi, au lieu de s’inquiéter, de chercher, avait-il essayé de cacher quelque temps à sa femme un malheur qu’il se hâta par la suite de déclarer irréparable ?  Et ses démarches pour obtenir les biens de sa belle-mère ?

En 1822, après une instruction qui ne put saisir que des présomptions, le tribunal de première instance de Paris déclara qu’il n’y avait pas lieu à poursuivre, quant à présent, attendu qu’il était impossible de déterminer les causes de la disparition et que la mort de cette pauvre madame Houet n’était pas prouvée.

Mais, tandis que la magistrature abandonnait provisoirement les poursuites, les éléments d’une nouvelle instruction allaient bientôt s’accumuler autour de Robert.

Après l’abandon des poursuites, dans les premiers mois de 1822, et Robert et sa femme quittèrent Paris. Ils s’établirent dans la maison de Dannemoine.  L’année suivante, en février, Robert flanqué d’un sieur Véron, revint à Paris.  Tous deux occupèrent l’habitation de la rue de la Harpe, restée vide depuis le départ pour Dannemoine.  Dans l’appartement réoccupé, se passèrent, entre Robert et un nouveau personnage, des scènes qui réveilleront l’attention et bientôt les soupçons de la police.

Ancien couvent des Mathurins, rue des Mathurins à Paris

Un certain Bastien vint, un jour, toucher des mains de Véron un billet de 250 francs, souscrit à son profit par Robert.  Quelques jours après, Bastien revint.  Il exigea de voir Robert absent à ce moment-là ; Bastien l’attendit.  Quand il  rentra, Bastien et lui s’enfermèrent dans une pièce voisine.

Une discussion ne tarda pas à s’animer entre les deux hommes.  Des éclats de voix, des pas précipités, des bruits de meubles bousculés, puis, des invectives retentirent.  Robert criait : « au voleur ! à l’assassin ! ».  Véron alarmé par ce passait dans la chambre d’à côté, se précipita au secours de son ami.  Quand il entra dans la pièce, Robert et Bastien se tenaient à demi renversés sur une table, les épaisses mains de Bastien enserraient le cou de Robert.  A la vue de Véron, tous deux se séparèrent aussitôt.  L’un reprenait son souffle et présentait un visage congestionné, l’autre était pâle et menaçant.  Bastien se retourna, prit son chapeau et sortit.  Entre ses dents, s’échappaient de sourdes menaces.  Pendant que Robert se rajustait, Véron jeta un coup d’œil sur la table ; il y aperçut, à côté d’une plume tordue, une obligation de 20.000 francs, au profit de Bastien.  Il n’y manquait qu’une signature, celle de Robert.

Bastien partit, Véron et quelques voisins, accourus au bruit de la lutte, engagèrent Robert à porter plainte.  Il devait se mettre se mettre à l’abri de ce vaurien.  Robert leur déclara qu’il avait joué et perdu.  Irrité par tout ce monde qui le pressait à agir contre son agresseur, il ajouta sèchement que ses discussions avec Bastien ne regardaient que lui-même.  Cependant, resté seul avec Véron, Robert lui confia que cette situation devenait intolérable et lui proposa tout de go d’attirer Bastien dans l’une des maisons de Versailles, de l’y assassiner et de l’y enterrer dans le jardin.
Sans hésiter, Véron qui n’était pourtant pas un enfant de chœur, refusa cette proposition.

Qui était ce Bastien ?  Quelle mystérieuse domination exerçait-il sur Robert ?  Bastien, ancien maître menuisier avait, pour échapper à ses nombreux créanciers, quitté Grenoble en 1819.  Installé à Paris l’année suivante, il habita une maison  de la rue du cimetière Saint-Nicolas où Robert vendait son vin.  Bastien prenait ses repas chez Robert, et, depuis la disparition de la veuve Houet, les deux hommes conservaient des relations intimes et fréquentes.

Quelques temps après cette scène violente, Robert et Véron quittèrent la rue de la Harpe et s’établirent à Versailles.  Ils surveillaient les réparations à faire aux maisons de la famille Houet.  Revenant d’un voyage à Paris, Robert raconta en pleurant à Véron qu’il avait rencontré Bastien.  Un pistolet sous le menton, celui-ci lui avait fait souscrire 30.000 francs de billets.  Véron, qui ne savait pas tout, et pour cause,  parla une nouvelle fois d’une plainte au procureur du roi.  Robert qui avait de bonnes raisons pour ne pas mêler la justice à ses affaires, préféra la fuite au scandale.  Il chercha à échapper aux recherches de Bastien.  C’était là tenter l’impossible, Bastien connaissait trop la vie et les affaires de sa victime.  Néanmoins, Robert se cacha à Dannemoine, mais ne put éviter l’inévitable.

Dannemoine

En 1827, Bastien parut tout à coup à Dannemoine. Il cherchait à faire accepter par les époux Robert douze lettres de change pour un montant de 6.000 francs.  Cette persécution nouvelle saisissait Robert au moment où, dans la plus grande discrétion, il venait de vendre la maison de Dannemoine, et de se préparer un nouveau refuge à Villeneuve-le-Roi.  La femme de Robert était partie la première pour préparer la nouvelle habitation ; on la rattrapa à Germigny, pour lui faire signer les billets exigés.  L’entrevue ne fut pas sans orages.  Dans l’auberge du village, une querelle violente éclata pendant la nuit.  L’aubergiste, caché dans une chambre contiguë, entendit Bastien dire à Robert :
-       Voyons ! ai-je fait le fait, ou l’ai-je fait faire ?
-       Oui, c’est vrai, répondit Robert.
-       Eh bien ! tu dois me payer.
-       Hélas ! mon Dieu ! c’est vrai, il faut payer.

Robert, luttant pied à pied, avait résisté jusqu’au lever du soleil, pas de signature.  Il quitta un moment la chambre et vint trouver discrètement l’aubergiste.  Il lui remit un écu de 6 francs :
-       Tenez, dit-il, il y a ici un homme dont je ne puis me débarrasser, qui me demande de l’argent et à qui je n’en veux point donner ; quand il sera là devant vous, je vous dirai que je n’ai pas le sou, et vous me prêterez un écu.
L’aubergiste refusa de se prêter à cette comédie et fit part à Bastien du manège inventé par Robert :
-       Ah ! c’est comme ça, dit Bastien ; eh bien ! dites-lui qu’il n’y a pas chez lui un brin de paille qui ne soit à moi, et, s’il le faut, j’irai m’installer chez lui et l’en chasser.
Robert paya donc leur séjour à l’aubergiste, et tous deux, indéfinissables et inquiétants, enchaînés à vie par un terrible secret, s’en allèrent ensemble. 

A suivre…






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